Sur un ciel d'un noir d'encre se détache un roc de pixels dans lequel se trouve grâcieusement plantée une épée à la lame aussi brillante que les étoiles. Un texte défile au milieu de celles-ci dans le plus pur esprit des introductions de la Guerre des Étoiles, bien qu'avec davantage de platitude comme l’exigent les limitations techniques du support. Une magie peu commune se dégage de ces lettres dont la police évoque on ne peut mieux l’esprit de cette bonne vieille NES. Car au-delà du "II" affiché qui laisserait supposer une simple suite aux plus exigeants d’entre nous, on comprend instantanément qu’on a ni plus ni moins affaire à la continuation d'un mythe. Ou plutôt, d'une légende...
À propos de cet article :
Il existe plusieurs rééditions de Zelda II (sur Game Boy Advance dans la gamme "NES Classics", sur Game Cube dans le disque collector regroupant quatre jeux de la série Zelda, ou encore sur console virtuelle). Toutefois, cette critique (initialement publiée en 2005 sur NES Pas ? puis modernisée pour une publication sur jeuxvideo.com près de dix ans après) a été rédigée en fonction de mon expérience sur la version originale, bien que pratiquée à travers les époques. Elle a pour objectif de se replonger au maximum dans le contexte de l'époque, tout en portant un regard rétro sur ce titre très souvent décrié. C'est ici une copie quasi conforme de mon test publié début 2015 qui est livrée ici.
Une véritable aventure
C'est bel et bien le prolongement du jeu probablement le plus abouti de la courte histoire vidéoludique qui défile sous nos yeux ébahis. Car il faut l'avouer: cette intro, qui pose les bases d'une certaine trame scénaristique, en met tout autant plein la vue au joueur que celle de l'exceptionnel The Legend of Zelda sorti à peine un an auparavant : c'est du cinéma en 8-bits ou presque ! Héritier direct du premier volet en ce qui concerne son histoire, respectant une chronologie que la série se montrera peu encline à autant expliciter par la suite, celui qui s'intitule sobrement The Adventure of Link cherche à mettre bien plus en avant son héros, dont le nom était tout simplement absent du premier opus, et ce du simple titre aux dialogues du jeu. Le jeune héros se met ici en quête de la Triforce du Courage dissimulée dans un palais quasi inaccessible par Impa, la nourrice de Zelda, afin de restaurer l'harmonie en un royaume d'Hyrule tombé en ruines, et surtout de réveiller la princesse endormie. Le tout en sachant que sa mort permettrait aux sbires de Ganon, le prince des ténèbres, de ressusciter ce dernier, ce qui promet une farouche adversité...
On n'a même pas encore appuyé sur Start que la magie de Zelda opère. Pourtant, après avoir créé une nouvelle partie au travers d'un menu rappelant fortement celui de son aîné, la surprise est de taille. Outre le fait de débuter le jeu directement aux côtés de Zelda, bien que celle-ci soit endormie, c'est la structure de l'action qui choque d'emblée. Elle s'avère en effet à défilement linéaire et non plus en vue du dessus, rappelant le principe du bon vieux jeu de plate-forme, cet autre style que Nintendo maîtrise si bien avec la jeune saga Super Mario Bros. — Miyamoto-San aurait-il osé le croisement ultime entre les deux plus grands hits de ce début de carrière si riche en succès ? En effet, The Adventure of Link cherche d'emblée à se démarquer de son prédécesseur. De prime abord, l'aspect aventure du premier soft semble s'effacer au profit d'un jeu où l'action prime sur la réflexion, en faisant fi des codes du genre auquel le monde de Zelda convient tant, bien que cette série soit encore trop jeune pour émettre ce genre d'hypothèse.
I am not an error
Pourtant, dès que l'on sort du palais où l'on comprendra très vite que les pouvoirs très limités de Link — saut et coup d'épée à ce moment du jeu — ne l'aideront pas à sortir Zelda de son sommeil infini, on retrouve instantanément une carte globale d'Hyrule où Link peut se déplacer de la même façon que dans sa première aventure. Le changement ne se fait finalement pas sans transition, la traditionnelle vue du dessus qui avait fait le charme du premier opus a été conservée. Toutefois, force est de constater que sur ce plan-là, il y a un gouffre pas loin de rappeler celui séparant les écrans d'action des Mario Bros. d'arcade et ceux de Super Mario Bros. ! Les déplacements de Link s'effectuent certes selon le même axe directionnel qu'un an auparavant, mais le ressenti global est celui de mouvements plus saccadés, un peu comme s'il évoluait sur un rail ; la liberté de mouvement que l'on ressentait si bien dans The Legend of Zelda s'en trouve étrangement atténuée, et surtout, on n'a accès ni à l'utilisation de l'épée, ni à un quelconque inventaire. On comprend alors rapidement que la carte sur laquelle se balade Link ne sert en réalité qu'à relier les différentes zones où se déroule véritablement l'action, et que cet espace est tellement vaste que les déplacements pour rejoindre un point particulier n'ont rien d'une promenade de santé. Dès que l'on sort du chemin de base tracé en jaune et que l'on s'aventure dans un des nombreux types de décor l'entourant (prairies, forêt, désert...), des ennemis apparaissent et le jeu nous fait basculer dans une scène d'action à leur moindre contact.
D'une certaine façon, ce Zelda-là se présente davantage comme un action-RPG, d'autant plus qu'en triomphant des ennemis, Link récupère des points variant selon la résistance de l'ennemi, et accède donc à différents niveaux d'expérience au fil des paliers de points atteints. On peut ainsi choisir, à chaque fois qu'on atteint le score nécessaire, d'améliorer sa résistance aux assauts ennemis, ou encore ses compétences en terme d'attaque ou d'utilisation des magies. Ces dernières remplacent en effet à leur façon les très nombreux objets du premier opus, et Link les apprendra au fur et à mesure de sa quête, auprès de vieux mages reclus dans les caves de certaines habitations des villages de la carte générale. En effet, en plus des différents combats auxquels il participe plus ou moins volontairement sur sa route vers les différents palais, dont l'exploration demeure son objectif prioritaire, Link visitera huit villages aux noms qui deviendront très familiers (Ruto, Saria, Darunia, Rauru...) où il pourra questionner bon nombre de PNJ au sujet des palais, des objets à récupérer, et des autres personnages qui pourraient se cacher un peu partout dans Hyrule. C'est à cette occasion que Link fera la connaissance du fameux Error passé depuis à la postérité.
Une révision complète du design
Les exigences du support limitent les propos des PNJ à une boîte de dialogue simple, et donc à des propos extrêmement basiques, quitte à ce que la langue de Shakespeare s'en trouve quelque peu bafouée par moments. Fort heureusement, le distributeur franco-hollandais de l'époque avait eu la bonne idée d'inclure un lexique en fin de notice, regroupant l'intégralité des termes anglais utilisés dans le jeu et leur traduction. C'est en grande partie avec Zelda II que votre serviteur, alors encore à l'école primaire, a eu le bonheur de faire ses armes en anglais. Mais cessons de digresser et revenons-en au déroulement de la quête, qui s'avère de plus en plus riche au fil de la progression. Comme précédemment évoqué, les magies enseignées à Link font passer à la trappe des armes pourtant efficaces type boomerang, bombe ou autres arc et flèches, et vont davantage augmenter temporairement les aptitudes du héros d'Hyrule. Ce dernier pourra ainsi améliorer sa défense, sauter plus haut, faire cracher du feu à son épée, se transformer en fée pour voler et franchir des précipices, ou même invoquer la foudre. Bien sûr, l'utilisation de ces pouvoirs grignotera pas mal d'unités de magie, et il n'y a qu'en gagnant des niveaux d'expérience que l'on réduira cette consommation. Les conteneurs de magie, extrêmement bien cachés aux quatre coins de la map, favoriseront une meilleure gestion de cette dernière, au même titre que les conteneurs de cœur augmenteront la jauge de vie d'un Link pour le coup très fragile. Nul doute que la magie à laquelle vous aurez le plus recours sera celle restaurant son énergie, puisqu'il n'y a qu'elle qui le permet — et quelques fées planquées par-ci par-là.
Il y a toutefois quelques objets à trouver, essentiellement planqués dans des palais que l'on n'appelle pas encore "donjons". Ils se révèlent encore plus complexes que dans le premier épisode, avec une structure très typée Metroidvania, largement plus difficile à appréhender du fait de l'absence de carte. Pourtant, a priori, on se dit que sans murs à exploser avec les bombes, sans pièces plongées dans l'obscurité, tout va marcher sur des roulettes, mais ce n'est absolument pas le cas. Ces palais se révèlent être aussi longs que les adversaires qu'ils renferment sont coriaces, surtout les chevaliers contre qui les combats sont très intenses, et d'une rare profondeur tactique pour un jeu d'action en 2D. Autant dire que vous avez intérêt à accumuler de façon sérieuse les points d'expérience pour augmenter vos niveaux d'attaque et de défense avant de vous y rendre. S'ils ne sont hélas pas aussi nombreux que dans le précédent volet — il y en a 6, au bout desquels vous récupérerez un cristal qui permettra de supprimer la barrière magnétique fermant l'accès à l'ultime palais — les palais possèdent l'immense avantage de se dérouler dans une ambiance exceptionnellement prenante desservie par un thème musical dantesque et plus que mythique. Soyons clair : on a vraiment affaire à une composition grandiose, encore plus prenant que le classique "overworld theme", qui méritera plus tard un excellent remix dans Super Smash Bros. Melee. D'une manière générale, la bande son de Zelda II se trouve être très travaillée, avec une mention tout aussi honorable au thème des villages qui leur confère une atmosphère pittoresque et reposante après l'effort.
La jouabilité au service d'une aventure légendaire
Bien sûr, on pourra regretter, car la comparaison fait toujours mal, que le jeu ne propose hélas pas de seconde quête comme l'avait osé son illustre aîné. Zelda II, comme évoqué précédemment, ne propose "que" six palais principaux ainsi qu'un septième qui conclut l'aventure (avec tout autant de vice que les autres, si ce n'est pire...), et concrètement, il n'y a pas énormément de surprises cachées partout sur la map, en-dehors des curieuses poupées à l'effigie de Link qui lui confèrent une vie supplémentaire. Cet artefact qui disparaît à vie de la partie sauvegardée une fois récupéré a d'ailleurs de quoi surprendre, et c'est bel et bien le seul élément de gameplay qui puisse s'avérer discutable tant il ne colle pas au fonctionnement d'un Zelda. Voir un nombre de vies restantes s'afficher après avoir vidé entièrement sa jauge de vie est pour le moins surprenant et ne se justifie pas vraiment, même si cela a le mérite d'éviter d'accentuer encore davantage une difficulté bien réelle. C'est d'ailleurs sans doute pour ça que le jeu ne propose pas de véritable New Game + tant le challenge est présent : relancer une partie avec les niveaux au maximum permet au contraire de revivre l'aventure à l'identique, mais dans une sorte de mode facile au vu des nombreux acquis conservés (magies, coups vers le haut et le bas, niveaux d'expérience). En outre, parcourir tout Hyrule à la recherche des divers palais et des moyens d'y accéder n'a vraiment rien d'évident, d'autant plus que les "indices" fournis par les autochtones se montrent la plupart du temps plus énigmatiques qu'autre chose. Bien ancré dans les standards de difficulté de son époque, Zelda II propose de ce fait une durée de vie conséquente à quiconque a l'intention de l'aborder tel qu'il est pensé : une aventure longue, riche et fastidieuse.
Fort d'une ambiance soignée, notamment servie par des décors riches et variés (grottes, forêt, villages divers, désert, marécages, etc.), c'est toutefois davantage par ses idées de gameplay et de progression que ce Zelda se distingue, bien au-delà d'un enrobage séduisant. C'est aussi en grande partie de ce concept que naît une controverse qui divise encore et toujours les fans : alors que Miyamoto et son équipe viennent de plus ou moins inventer le concept de jeu vidéo à monde ouvert, que réellement penser d'un épisode de Zelda prenant le parti de s'affranchir d'une base aussi maîtrisée, pour laisser place à un système de jeu plus convenu ? En effet, en 1987, il était on ne peut plus commun de proposer un jeu d'action à défilement linéaire en vue de profil. Mais c'est finalement en mêlant habilement les déplacements sur une carte immense et sans coupures (tout est géré d'un seul bloc, sans enchaînement d'écrans) et les scènes d'action parfaitement fluides et pleines de vie que Nintendo réussit son pari : apporter du nouveau dans un style de jeu qu'il a lui-même popularisé avec succès, en conservant quelques bases mais en révolutionnant l'ensemble pour diversifier l'expérience de jeu au maximum. Et ce qu'il s'agisse de l'utilisation intelligente et pertinente des magies, ou des objets récupérés dans les palais exclusivement sur la carte, ou surtout de l'apprentissage des coups d'épée vers le haut et le bas — de véritables prouesses techniques pour l'époque ! Tirant parti au maximum d'une manette basique exploitée à merveille (aucun jeu NES ou presque n'utilise le bouton Select avec une telle fréquence) et des capacités pourtant limitée du support qui l'accueille, Zelda II fait vivre une aventure riche et épique à quiconque saura lui donner sa chance et ne pas rester bloqué sur une première impression qui, il faut l'avouer, a de quoi dérouter. À l'image de son boss final, incroyablement inattendu, spectaculaire, une pure idée de génie... qui ne sera bien entendu pas révélée ici.
The Legend of Zelda II : The Adventure of Link est de ces titres à l'accessibilité peu évidente, qui de prime abord ont tout pour intriguer le joueur, et le faire fuir s'il ne prend pas le temps d'en saisir toute la quintessence en explorant un minimum ses idées de gameplay et la richesse de son level design. Au travers d'idées particulièrement gonflées et novatrices pour l'époque, ce second volet d'une toute jeune saga déjà légendaire réussit pourtant des paris bien difficiles, en proposant une quête extrêmement prenante, à aborder avec une prudence permanente couplée à un grand désir d'exploration. Livré à lui-même dans un Hyrule plus hostile que jamais, c'est tout l'apprentissage de Link que l'on vit aux côtés d'un héros légendaire dont la quête se révèle de plus en plus passionnante au fil des villages et palais traversés, des étonnants personnages rencontrés, et des objets, aptitudes et sorts nouveaux à maîtriser. Si la relative difficulté du titre, due en grande partie à sa complexité et à la quasi absence de toute forme d'assistanat, ainsi que le système de jeu, ont de quoi rebuter dans un premier temps, il va sans dire que quiconque prendra le temps de savourer ce Zelda comprendra à quel point il n'a rien à envier à son prédécesseur, et à quel point il n'a aucune raison de faire figure de vilain petit canard d'une saga qui lui doit en réalité plus qu'on ne l'imagine.
J'ai adoré / aimé :
+ Gameplay entièrement revu avec brio
+ Mélange très habilement plate-forme, aventure et RPG
+ Fluide et agréable à jouer dans les phases d'action
+ Les villages, leurs habitants, leurs secrets
+ Des palais bien foutus, longs et musicalement d'anthologie
+ Un bestiaire bien diversifié et intéressant à affronter
+ Une certaine durée de vie pour une quête unique
+ Scénario franchement correct et cohérent pour l'époque
+ Le boss final est une idée de génie
J'ai détesté / pas aimé :
- Déroutant et difficile à appréhender
- Pas vraiment de rejouabilité ni de quêtes annexes
- Map globale pas super jolie, ni très agréable à parcourir
- Système de vie supplémentaire pas du tout pertinent