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The Last of Us Part II – De l'amour à la haine

Des pavés dans la mer

24 juillet 2020

Imaginez-vous passer trois ans et demi entre l'annonce d'un jeu dont vous auriez aimé qu'il n'existe pas, et le moment où vous allez enfin le lancer, repensant à ces quarante-deux mois à naviguer entre irrésistible engouement pour ce qui demeure malgré tout la suite d'une de vos œuvres favorites de tous les temps, et crainte constante de l'inutilité et de l'impertinence de cette dernière. Une quantité irréelle de sentiments n'a cessé de m'accompagner durant cette interminable période me séparant d'un verdict plus redouté que jamais, et m'a envahi, pour ne pas dire hanté, durant à peu près autant d'heures de jeu qu'il n'y eut de mois d'attente à subir avant de comprendre, enfin, pourquoi The Last of Us Part II. Non, il ne manque aucun verbe pour conclure cette phrase, pas plus qu'il ne manque de conclusion à un des jeux vidéo les plus perturbants, magnifiques, dérangeants et envoûtants auxquels il m'ait été donné de jouer… et probablement le plus difficile qu'il m'aura été donné de critiquer. Essayez maintenant d'oublier tous les avis que vous avez pu consulter – positifs comme négatifs, neutres comme engagés, pertinents comme stupides – et autorisez-moi à vous donner ma vision de cette œuvre complètement hors du commun, sans égale ou presque, qui ne laisse personne indemne.

 


Note sur les conditions de jeu :

 

Cette critique fait suite à une partie complétée à 100% en difficulté normale sur une PlayStation 4 Pro, sur un écran 4K HDR, via une version dématérialisée fournie par Sony, en versions 1.01 puis 1.02 ; à noter que j'ai également pris le temps de tester le jeu brièvement sur PS4 "fat" sur un écran HD classique. Mon expérience s'est voulue la plus étendue possible, rédigeant au passage une solution complète du jeu pour jeuxvideo.com, ce qui occasionna un second playthrough en "New Game +" portant mon expérience du jeu à environ 70 heures cumulées. Même si ces deux parties ont été terminées avant la sortie officielle du jeu, j'ai également pris le temps de regarder ma compagne jouer à The Last of Us Part II et d'étudier ses réactions, échanger avec elle sur son ressenti, et le redécouvrir encore une fois sous un nouvel angle. Contrairement aux reviews rédigées sous embargo, je vous proposerai ici mes propres captures d'écran et non celles fournies par l'éditeur, mais m'efforcerai de respecter votre intérêt pour le jeu en évitant toute forme de spoil… jusqu'à un paragraphe dédié, planqué derrière une action contextuelle entre deux screenshots et dont je préviendrai explicitement en amont, que j'estime absolument nécessaire à la compréhension de ma critique, et qui révèle plusieurs points clés de l'intrigue mais aucunement son dénouement. La conclusion (qui suivra) se montrera de nouveau volontairement évasive, tout comme la liste de points positifs et négatifs, et vous serez renvoyé(e) à la lecture de la section "à risques" si vous souhaitez davantage de développement de mes idées à ce sujet.

 

 

Cet article est dédié à mon ami Didier, que j'ai vu tant de fois porter le T-shirt à l'effigie du premier épisode et de Joel, tragiquement disparu le jour de la sortie de ce deuxième volet – triste ironie du sort – et que rien ni personne ne remplacera dans mon cœur. Puisses-tu reposer en paix.

 

 

 

 

The Next of Us

 

 

En juin 2013, il y a sept ans de cela donc, j'entamais un test très innocent de The Last of Us (qui demeure le plus ancien de ce site) par une introduction basée sur une attente très modérée envers une production ne m'attirant pas plus que ça, la concluant néanmoins sur une formule que j'aimerais pouvoir répéter à l'identique, en changeant juste l'identité de la tête pensante du studio : "Que Christrophe Balestra et ses "Dogs" me pardonnent d'avoir osé émettre de tels doutes jusqu'à la lecture des premiers tests et surtout, jusqu'à ce que je me décide à me faire mon propre avis." Pourtant terriblement satisfait d'avoir enfin affaire à un jeu Naughty Dog ayant misé tout son développement sur un solo complet (bien qu'un spin-off multijoueur semble prévu), je ne me suis absolument pas senti capable, en juin 2020, d'exprimer de telles excuses auprès de Neil Druckmann et de Naughty Dog. Peut-être parce que j'ai beaucoup mûri depuis, que mon parcours de joueur s'est vu grandement chamboulé durant toutes ces années… mais aussi et surtout parce que que je ne suis pas ressorti de The Last of Us Part II conquis par une création que je ne pensais pas autant aimer. C'est un sentiment différent qui me traverse, plus proche du soulagement d'avoir vécu quelque chose de très fort émotionnellement, imprévisible, suffisamment surprenant pour me laisser porter tout du long, et de me dire que cette "part II" a su compléter une histoire incroyable qui ne se suffit désormais plus à elle-même, en évitant parfois la catastrophe de justesse. Toutefois, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, si elle me fait toujours poser des questions quant à sa réelle nécessité d'enrichir l'aventure initiale de Joel et Ellie, cette suite se justifie sur de très nombreux autres points, davantage liés à la transformation d'un medium au croisement des générations qu'à celle d'un lore qu'il a peut-être fallu quelque peu sacrifier sur l'autel de l'évolution.

 

 

 

 

Dans un premier temps, plutôt que de m'attarder sur ce qui constitue l'âme de celui que j'éviterai d'appeler "TLoU2" (parce que c'est quand même très moche), revenons plutôt sur son cœur : un niveau de réalisation parfaitement démentiel, qui renvoie Uncharted 4: A Thief's End à ses chères études, tout en se payant le luxe d'offrir une aventure pratiquement deux fois plus longue. Exigeant deux disques blu-ray pour être installé sur la console et joué, le titre de Naughty Dog rappelle par certains côté un certain Red Dead Redemption II avec qui il partagera beaucoup plus de points communs que l'on ne peut l'imaginer de prime abord. Devenu aussi réputé que Rockstar pour la qualité de mise en scène et même d'écriture de ses jeux vidéo, le studio le plus important (ou presque) de Sony Interactive Entertainment a fini, lui aussi, par tristement s'illustrer au niveau de son développement engendrant crunch et multiples reports, contrairement à ce que j'osais encore naïvement croire d'eux un an plus tôt à l'époque de la sortie de Days Gone (cf. ma critique de ce dernier). Il en résulte un niveau de finition irréel à s'en damner, très loin du downgrade dont l'accusent des personnes n'y ayant tellement pas joué que je refuse de faire le moindre affront au terme "joueur" en les qualifiant comme telles. J'y reviendrai quand même plus bas, histoire de vous rassurer. Que ce soit dans sa reconstitution d'environnements urbains en ruines ou dans celle de la nature qui y reprend ses droits, dans ses jeux de lumière, ses couleurs, ses reflets… et évidemment dans la modélisation des visages des personnages, jouables ou non, et de leurs expressions, Naughty Dog fait plus que merveille, en remettant ce petit coup à la concurrence dont lui seul est capable à chaque nouveau jeu vidéo qu'il conçoit. Chaque phase de gameplay se confond littéralement avec son mode photo ou ses cinématiques, pourtant d'un réalisme saisissant, en retranscrivant un niveau d'émotion qui aura rarement été aussi palpable, en grande partie grâce à cette touche visuelle propre au studio qui fait que l'on en identifie instantanément la griffe. À l'approche d'une nouvelle génération de machines (probablement moins de six mois), The Last of Us Part II ne joue clairement pas dans la même cour que la plupart des jeux PlayStation 4, et semble livrer un véritable aperçu grandeur nature des promesses du futur.

 

 

 

 

 

American Beauty

 

 

Si la tentation est grande de me contenter d'une galerie de screenshots garantis sans mode photo, un tel témoignage ne rendrait que partiellement justice à la beauté sidérante d'un titre qui succède à un autre maître étalon graphique de son époque. The Last of Us, en 2013, nous avait tou(te)s laissé(e)s sans voix, face à la prouesse technique qu'il constituait sur une machine en fin de vie et au hardware d'un autre âge, après pas loin de sept ans de bons et loyaux services. On ne va pas se mentir, il est de plus en plus difficile de constater l'écart générationnel séparant deux consoles de jeux maintenant que la HD s'est généralisée, et passer de haute à ultra haute définition est un bond en avant infiniment moins palpable que celui à franchir entre du RGB sur écran cathodique 4/3 et du HDMI, a minima en 720p, sur écran 16/9. Pourtant, The Last of Us Part II trouve constamment le moyen de rendre son illustre aîné vieillot, presque désuet, le renvoyant à cette époque où nous savions apprécier le réalisme sans connaître le photoréalisme, ni la 4K, ni la HDR. Même sur un écran haute définition classique et sur une PS4 de première génération, cette suite fait voler en éclats bon nombre de nos acquis et de nos références, et je défie quiconque d'y jouer sans perdre un bon quart de son temps à admirer non seulement le rendu du moindre détail du décor, mais aussi et surtout celui des animations en tous genres : la prouesse la plus folle de Naughty Dog se situe peut-être à ce stade, dans des proportions que l'on n'avait probablement encore jamais vues, ou alors une nouvelle fois, dans "Red Dead 2", autre jeu aux prétentions folles et se fichant totalement de peser près de 100GB et de devoir tenir sur deux disques pour être jouable.

 

 

 

 

Je pourrais véritablement m'étendre extrêmement longtemps sur ce qui fait de The Last of Us Part II le plus beau jeu exclusif PlayStation jamais vu, et probablement le plus beau et le plus réaliste des jeux vidéo jamais vus sur console, mais ce n'est pas spécialement la partie sur laquelle je souhaite le plus m'éterniser dans une review qui s'annonce de toute manière extrêmement longue. Les captures d'écran parleront pour lui, ainsi que des bandes-annonces ne préfigurant pas spécialement de downgrade contrairement à ce qu'ont annoncé ses détracteurs – un peu toujours les mêmes, ceux n'ayant évidemment pas joué au jeu mais estimant de fait être en position d'émettre des critiques envers lui… et à qui on continue d'accorder vraiment beaucoup trop d'importance, pour le coup. Sauf, bien sûr, si vous n'êtes pas capable de comprendre la mention "Captured on PS4 Pro" et que vous accusez le jeu d'être moins beau sur la PS4 "fat" où vous y jouez, auquel cas je ne peux pas grand-chose pour vous (allez si, je suis sympa, je vous file un lien vers l'excellente vidéo de Digital Foundry qui montre clairement à quel point on a rarement autant collé aux trailers). Cependant, dans ce dernier cas, il est quand même de bon ton de rappeler que oui, The Last of Us Part II est évidemment moins fin (et même un peu moins fluide) en 1080p qu'en vraie-fausse 4K HDR sur la console pour laquelle il semble avoir été développé, bien plus que juste optimisé. Que voulez-vous, en toute fin de vie d'une console, il n'est plus très surprenant que les développeurs d'une exclusivité privilégient l'optimisation sur un modèle évidemment supérieur à la toute première version, et dont la durée de commercialisation représente déjà plus de 50% de celle de sa génération entière. C'est un peu dommage pour les fidèles de la première heure, n'ayant ni forcément les moyens ni l'intérêt d'investir dans un modèle "Pro" (faute d'écran 4K par exemple), mais rassurez-vous quand même : les soucis de fluidité constatés sur PS4 classique sont très rares en-dehors d'une seule et unique séquence ayant occasionné de très surprenantes chutes de framerate. Un problème étonnant qui, si Naughty Dog se montre à la hauteur de sa réputation, sera peut-être réglé par un patch correctif, en tout cas c'est à souhaiter. Notez cependant que plus d'un mois après la sortie du jeu, nous en sommes toujours à la version 1.02, soit celle du bon vieux "patch day one".

 

 

 

 

Cette réalisation impeccable, et de mon expérience quasi jamais prise à défaut (les fameux 30fps sont d'une stabilité déconcertante, sauf en mode écoute : s'il s'agit ici d'un parti pris artistique, je ne me l'explique pas), renforce encore un peu plus l'immersion dans une aventure dont on n'envisage de toute façon pas une seconde d'être détaché(e). Cela lui permet d'élever de fait au rang d'art une forme de violence peu commune encore jamais vue sous cette forme dans un jeu vidéo, ceci sans doute parce que la violence n'est plus qu'une simple composante, mais bel et bien une de ses thématiques essentielles – plus précisément, le concept de cycle de violence se situant au cœur du récit. Là où des God of War et Mortal Kombat sont sanglants, diablement "gore" et en font leur marque de fabrique, avec une vraie gratuité pour ce qui est du second, The Last of Us Part II cherche à donner une nouvelle dimension à la brutalité visuelle dans un jeu vidéo. On le sait, le monde post-apocalyptique que dépeignait le premier était de toute façon sans pitié et alternait avec une classe rare la sinistre réalité de ce monde d'après, brut de décoffrage, sanglant et ne faisant pas de sentiment… et l'aspect plus lyrique d'un véritable voyage finalement presque initiatique, à travers la douceur et l'innocence d'Ellie faisant écho au comportement plus abrupt et impitoyable de Joel. Cette suite n'est cependant pas en reste lorsqu'il s'agit de mettre en opposition ces deux états d'esprit, car s'il est impossible de ne pas la définir comme plus sombre et plus dure, elle n'en offre pas moins sa quantité de poésie et d'apaisement en de très nombreuses occasions. Naughty Dog gère toujours à la perfection ces séquences calmes et contemplatives qui font son succès depuis plus d'une décennie désormais, et fait bien entendu étalage de toute sa maîtrise du sujet lorsqu'il s'agit de ralentir le rythme, d'offrir un brin de répit à ses protagonistes, ou tout simplement nous rappeler que ceux-ci sont toujours des humains comme nous avec leurs sentiments, leur désir de mener une existence paisible et de s'adonner à ce qu'il leur reste de loisirs aussi agréables qu'apaisants. Le réalisme de l'œuvre ne se situe, fort heureusement, pas que dans sa noirceur, mais aussi dans toute cette foule de petits instants volés à ses personnages, avec en point d'orgue ces séquences où Ellie se pose en improbable héritière d'Eddie Vedder.

 

 

 

 

Play as You Are

 

 

Pourquoi choisir le chanteur et guitariste de Pearl Jam comme point de comparaison, me direz-vous ? Eh bien, parce qu'il s'agit clairement de la plus adaptée pour coller à cette production n'ayant pas peur de la surenchère de références. En effet, peut-être aurez-vous remarqué l'excellent easter egg remarqué dans un magasin de musique sous forme de poster promotionnel pour Lightning Bolt. Le dixième album du groupe originaire de Seattle – ah bah ça alors ! – parut en effet le 14 octobre 2013 dans notre monde réel, soit un peu moins de trois semaines après l'outbreak day, point de départ de la terrible pandémie ayant secoué celui imaginé par Naughty Dog, et se clôture sur le morceau "Future Days", présente sous forme de reprise interprétée par Joel puis par Ellie, qui en fera un peu "sa chanson". En trouvant une guitare acoustique magnifiquement préservée dans son étui au milieu du chaos, Ellie nous fera alors profiter d'un réel talent de musicienne, a minima d'interprète, dans un registre un peu folk qui n'est pas sans rappeler celui dans lequel Vedder avait tant brillé à travers la bande originale d'Into the Wild – une autre œuvre poignante sur fond de road trip américain désolant. Vêtue d'une tenue caricaturant avec justesse le mouvement "grunge", jusqu'à l'étonnant placement de produit des baskets Converse All-Stars chères à Kurt Cobain, l'ange déchu de la scène musicale locale, notre héroïne donne une toute autre dimension au score global de The Last of Us Part II, qui mettait à nouveau à l'honneur le génial guitariste argentin Gustavo Santaolalla. Là où la guitare acoustique jouait déjà un rôle important dans l'ambiance du premier opus, dont elle définissait la couleur musicale on ne peut plus adaptée à un tel voyage à travers les États-Unis, celui qui lui est confié dans cette suite est encore plus lié à la narration d'une histoire à travers le gameplay cherche à vivre. De façon étonnante, elle ne représente cependant qu'une bonne moitié des compositions de la bande originale du titre, l'autre partie signée Mac Quayle étant plus brute et très en percussions, traduisant avec beaucoup de réussite la tension et l'angoisse de bon nombre de phases d'exploration et de combat. Jusque dans son "OST", The Last of Us Part II cherche un constant équilibre dans l'opposition, et fait mouche sans l'ombre d'un doute, même s'il en découle un résultat peut-être un peu moins "catchy", et une bande son un poil moins marquante dans son ensemble. Rien à redire en revanche côté sound design, où le souci du détail du studio se ressent encore une fois en permanence, au point d'avoir gommé les quelques errances de son ancêtre, notamment au niveau du volume des doublages pas toujours bien équilibré.

 

 

 

 

Cependant, et Naughty Dog l'a bien compris au vu de sa très habile mise en avant dès le premier plan du jeu, c'est bien la Taylor à six cordes qui fait office de vedette, pour ne pas dire de véritable icône, dans un jeu qui aura rarement autant exploité un instrument de musique de la sorte, afin de lier jouabilité et narration. De quoi rappeler, quelque peu, certains épisodes de The Legend of Zelda qui souhaitaient faire d'un ocarina ou d'autres instruments de véritables vecteurs de gameplay, jouant non seulement sur nos émotions mais permettant carrément de progresser dans l'histoire. En introduisant avec efficacité l'apprentissage de la guitare par Joel à Ellie, qui s'efface au profit de cette dernière après quelques minutes de jeu seulement, la suite de The Last of Us utilise l'instrument principal de sa bande son pour le lier à son scénario, venant compléter les promesses du père adoptif de la jeune fille, qui s'était engagé à lui apprendre à en jouer lors de leur arrivée à Salt Lake City, dans le dernier grand chapitre du jeu. Exploitée lors de rares moments de tranquillité dans l'aventure, la guitare mise à disposition d'Ellie est jouable à travers un mini-jeu aux prétentions aussi réelles que réalistes, et qui s'il ne cherche pas à réinventer Rocksmith par exemple, propose une véritable immersion dans ces moments intimes et émouvants qui n'appartiennent qu'à elle, nous permettant de jouer bon nombre d'accords et de s'amuser avec chacune des cordes avec pas mal de précision, grâce au touchpad de la manette PS4, qui pour une fois se trouve une vraie utilité digne de ce nom. Il en résulte de fait déjà de nombreuses reprises de bonne qualité qui ont envahi YouTube dans la semaine ayant suivi la commercialisation du titre, bien qu'aucune n'atteigne la grâce de la reprise acoustique de Take on Me (oui oui, le célèbre hit new wave de a-ha !) que se permet la jeune femme dans une des cinématiques les plus touchantes du jeu, sous les yeux d'une Dina conquise – que dis-je, amoureuse.

 

 

 

 

The Last of Us, partout

 

 

Sans grande surprise, The Last of Us Part II a pour projet de constituer l'aboutissement du jeu d'action-aventure mû par sa narration, ce qu'on aime à synthétiser, en succombant à la facilité de l'anglais, en "story-driven". Jusqu'au-boutiste dans sa réflexion, le travail minutieux et démesuré mené par Neil Druckmann et ses équipes porte régulièrement en lui les stigmates d'une prétention à la Rockstar, entrevue comme évoqué plus haut dans Red Dead Redemption II et ses ambitions sans commune mesure. Dépassant une fois de plus, comme The Last of Us en son temps, les idéaux de David Cage et de Quantic Dream dès qu'il s'agit de générer les émotions de ses personnages et susciter l'incroyable empathie qui en découle, cette suite au développement interminable et clairement douloureuse ne laisse absolument personne indemne, et traverser The Last of Us Part II a quelque chose d'un interminable chemin de croix, pesant et monstrueusement immersif. En optant pour la thématique d'une vengeance froide qui n'épargnera personne, l'aventure d'Ellie est par conséquence très sombre et très violente, comme déjà indiqué, bien davantage que celle de Joel en fin de compte. Ce parti pris n'a pourtant rien d'un quelconque échec, bien au contraire, vu qu'il s'en trouve admirablement maîtrisé, aussi difficile que cela ait sans doute été à produire. Cependant, si le scénario séduit sans grande difficulté sur sa première moitié, il a tendance à s'éterniser sur la seconde, au prix de longueurs parfois discutables, lorsqu'il ne se perd pas dans quelques scènes pour le moins gênantes et inutiles, que le premier avait réussi à esquiver avec beaucoup d'élégance. Je reviendrai sur ces spécificités, comme promis en amont, dans la section de mon article assumée comme pleine de spoils, mais ne vous inquiétez pas, celle-ci sera largement encadrée de façon à vous éviter de bêtement tomber dedans : il est hors de question que je vous gâche quoi que ce soit, surtout si vous avez réussi à passer entre les gouttes depuis les malheureux leaks apparus près de deux mois avant la sortie du jeu !

 

 

 

 

Avec cette suite si tardive, Naughty Dog désire bousculer bon nombre de conventions établies à travers la continuité : un surprenant paradoxe pourtant traité avec une certaine maestria, tant on navigue entre sentiment de déjà vu et sensation d'accomplissement d'une génération. Si le traitement scénaristique se veut résolument audacieux (voir l'encadré "spoiler" plus bas), on peut en dire autant de la manière dont la narration est étalée, favorisant une durée de vie jamais vue pour une production à déroulement linéaire. En plus d'une quantité impressionnante de zones à parcourir, dont on n'a plus besoin de vanter la qualité de réalisation à couper le souffle, c'est la construction de ces dernières qui les rend particulièrement fascinantes à explorer. Tout d'abord, avec le centre-ville de Seattle, Naughty Dog concrétise les promesses d'une véritable zone ouverte entrevues dans Uncharted: The Lost Legacy, que j'espérais dans ma critique d'époque voir jouer le rôle de coup d'essai en vue de ce projet résolument plus ambitieux. Si le sous-chapitre concerné est hélas la seule et unique section totalement ouverte en terme d'exploration et avec sa carte dédiée, une grande partie des environnements à parcourir se montre semi-ouverte, avec de multiples cheminements possibles, et une quantité assez impressionnante de bâtiments et de recoins à fouiller. L'exploration, très riche, comporte bien entendu de nombreuses récompenses à la clé, allant du simple loot (stimulants pour débloquer des compétences, outils pour "crafter" des munitions ou des projectiles, pièces permettant de bricoler et améliorer vos armes…) aux bons vieux collectibles en tous genres, toujours de bon ton pour enrichir le scénario, et auxquels les "Dogs" demeurent très attachés en dépit d'une mode qui tend à s'effacer. Mieux encore, la grande diversité offerte au joueur en terme de déplacement confère une toute nouvelle dimension aux phases de combat, qui s'en trouvent très grandement enrichies, en plus de voir leurs fondamentaux de gameplay très largement revus à la hausse depuis un premier opus où ils demeuraient un peu poussifs. D'un simple point de vue jouabilité, The Last of Us Part II est un très gros pas en avant, et si Uncharted 4: A Thief's End avait pêché à ce niveau du fait de mécaniques assez rouillées, le titre testament de Naughty Dog sur PS4 s'avère largement plus abouti et convaincant, bien que se reposant sur des bases déjà connues.

 

 

 

 

Of WLF and Man

 

 

Dans un premier temps, c'est sans grande surprise que l'on retrouve dans The Last of Us Part II l'intégralité des éléments de gameplay de son prédécesseur, puisqu'après tout il s'agit à nouveau d'un jeu d'action-aventure avec séquences de tir à la troisième personne, des mécaniques d'infiltration, et des compétences et armes diverses et variées à débloquer puis améliorer. Quelques nouveautés sont au programme, comme l'usage de câbles (gérés par un moteur physique époustouflant, pour le coup) occasionnant quelques petites énigmes, ou la conduite de canots pour le coup pas très convaincante. Heureusement, la jouabilité s'est affinée, avec la possibilité de ramper et d'exploiter les détails du terrain bien plus en profondeur qu'auparavant, et les silencieux à "crafter", qui manquaient cruellement au premier volet, sont enfin de la partie. L'infiltration, elle, prend une place prépondérante dans la jouabilité d'un titre qui n'a, je dois le déplorer, plus grand-chose d'un survival-horror. Oh, rassurez-vous, il reste des infectés, dont de nouvelles catégories encore plus horribles que dans son illustre aîné, et vous aurez encore affaire à quelques séquences très flippantes, pour ne pas dire complètement anxiogènes, surtout une ou deux formidablement maîtrisées dans la deuxième partie du jeu. Lorsqu'elle souhaite nous plonger dans les abysses de l'horreur et de la crasse, la suite de The Last of Us remplit plus que brillamment son contrat, jouissant évidemment du niveau de modélisation incroyable qui rend les créatures infectées encore plus immondes qu'on ne les imaginait en 2013, et ce sans parler des nouvelles exclusives à cette "Part II". Néanmoins, ce second épisode n'a plus pour thématique la survie, et cela se voit très clairement dans la répartition des combats du titre, largement en défaveur des infectés qui se montrent ici beaucoup moins nombreux. En vous opposant à deux types de factions diamétralement opposées, dont une clairement plus élaborée que l'autre dans ses mécaniques de combat, la nouvelle création de Naughty Dog veut renforcer le sujet principal qu'elle veut dépeindre : en cela, elle cherche à nous faire affronter beaucoup plus d'êtres humains aux revendications bien distinctes, ce qui renforcera encore un peu plus le questionnement du bien-fondé de nos actes, au-delà de toute forme de manichéisme, en créant une empathie quasi jamais vue pour celles et ceux que l'on prenait jusqu'ici pour de la bonne vieille chair à canon. The Last of Us avait réussi à nous faire réfléchir sur notre rôle et nos actions à plusieurs reprises, grâce notamment aux lignes de dialogue de quelques ennemis s'imaginant dans la peau des gentils, et ne voulant la nôtre que parce que nous avions tué leurs amis. Dans sa suite, la nature des cibles change un peu, mais pas autant que leur symbolique ou leur comportement, tous deux très largement améliorés en comparaison de leurs modèles, qui prennent un énorme coup de vieux.

 

 

 

 

Après tant d'années de labeur intensif, force est de constater que l'intelligence artificielle a bénéficié d'une grosse refonte – nécessaire – ceci aussi bien du côté allié que des troupes du Washington Liberation Front (WLF), principal groupe auquel vous serez opposé(e) dans le jeu. Et ce sans parler du second type d'ennemis humains auxquels vous serez confronté(e) plus tardivement, qui vous offrira des situations bien plus complexes tactiquement parlant, et où foncer dans le tas en jouant les Nathan Drake ou Max Payne ne servira à rien. D'abord, fini le PNJ allié se baladant d'un bout à l'autre de la zone de gunfight sans alerter l'adversaire ni l'attaquer (ou alors de manière erratique) ! Un vrai bonheur, tant cela avait pu provoquer de crises de nerfs dans The Last of Us, premier du nom. Dans le "camp d'en face", le comportement ennemi a lui aussi été retravaillé dans les grandes largeurs, et ce pour notre plus grand bonheur. Si l'on met assez peu de temps à apprécier la qualité pratiquement surréaliste des animations et des déplacements du personnage joué, on réalise assez rapidement que les PNJ adverses ne sont pas en reste, et surtout, qu'ils organisent beaucoup mieux leur traque en groupe, même si leur boucle de déplacement initiale semble toute tracée du moment qu'on ne se fait pas repérer. Leur quantité cependant impressionnante rend très délicate la moindre phase d'infiltration, ceci encore davantage une fois que le meilleur ami de l'homme entre dans la danse. En effet, si on avait appris à ne pas faire trop de bruit et se mouvoir en toute discrétion pour ne pas alerter l'ennemi (humain comme infecté), on va devoir en plus prendre garde à l'odeur qu'on laisse s'échapper et que les chiens du WLF tenteront de suivre. Certes, vous pourrez toujours faire diversion en jetant des projectiles pour espérer créer de fausses pistes, mais ce nouveau type d'IA adverse s'avère particulièrement redoutable, surtout lorsqu'elle vous détecte ; et puis, vous le reconnaîtrez sans doute tout comme moi, abattre un bon gros toutou souvent sous les yeux de son maître, c'est bien plus difficile à accepter que de claquer un bon vieux headshot dans un type armé jusqu'aux dents qui veut nous exécuter froidement, et qu'on ne connaît ni d'Ève ni d'Adam. Quoique, The Last of Us Part II cherche à davantage "humaniser" nos cibles en leur donnant des noms, ce qui impliquera des réactions plus crédibles de la part de leurs compagnons découvrant un corps ou voyant leur camarade se faire fusiller sous leurs yeux… je n'en dis pas plus, et vous laisse le "plaisir" de découvrir cela à travers votre propre expérience.

 

 

 

 

Les 72 heures de Seattle

 

 

D'une manière générale, la suite de The Last of Us cherche constamment à soigner son lore et à ne rien laisser au hasard, s'offrant un souci du détail particulièrement obsessionnel qui nous pousse à traquer son moindre faux pas, qui pour la plupart du temps ne viendra jamais. C'est simple, si l'on peut encore s'offusquer d'un gameplay toujours un peu convenu, mais pour le coup encore mieux maîtrisé qu'en 2013, il est très compliqué de trouver quoi que ce soit à redire concernant la réalisation pure et dure du jeu : fruit d'un travail sans relâche de plusieurs années, sans doute au-delà du raisonnable hélas, The Last of Us Part II veut franchir un cap, marquer son temps, un peu partout. D'entrée de jeu, avant même de découvrir son introduction, Naughty Dog nous fait découvrir une de ses plus belles surprises en proposant des options d'accessibilité aux proportions impressionnantes, considérées comme les plus complètes jamais vues dans un jeu de cette envergure. Le studio veut que sa création soit jouable par tou(te)s en dépit de sa grande violence et de la maturité de son propos, et surprend son monde avec une quantité record de réglages en tous genres qui valent vraiment le coup d'être salués. Certes, il en ressort une œuvre que l'on qualifiera sans hésiter de plus prétentieuse que l'originale, en grande partie car privée de la candeur de cette dernière, envolée en éclats avec l'innocence d'Ellie tout au long d'une aventure qui ne demande qu'à se prolonger directement dans la foulée des événements qui ont changé la face du jeu d'action-aventure sept ans plus tôt. The Last of Us Part II se veut plus beau, plus dur, plus long, plus marquant sur tous les points, et comment peut-on lui reprocher de vouloir clôturer un nouveau chapitre de la "Playhistoire" après avoir aussi magistralement refermé celui de la PlayStation 3 en 2013 ? Beau à s'en damner, réaliste comme pratiquement aucun autre jeu vidéo et pourvu d'un fantastique supplément d'âme en même temps, mais aussi doté d'une durée de vie colossale d'une trentaine d'heures en moyenne – au point de donner l'impression un peu agaçante de ne jamais en finir – il se parcourt avec cette impression, presque désarmante, qu'on ne trouvera rien à redire dessus objectivement, si on ne s'attaque pas à ce qui était probablement le plus risqué de tous ses paris : sa narration.

 

 

 

 

Exception faite d'une minorité d'irréductibles dont la culture, revendiquée comme immense, devient un fardeau au point d'être capables d'anticiper n'importe quel dénouement (que leur vie doit être frustrante !), le scénario de The Last of Us avait plus ou moins fait l'unanimité. Sans forcément dépasser de grandes œuvres du grand écran (ou même du petit) ou même rivaliser avec, l'ultime cadeau de Naughty Dog à une PS3 vieillissante avait séduit une incroyable quantité de joueurs par la force de sa narration imbriquée dans le gameplay, avec une maîtrise encore peu constatée jusqu'ici dans un medium cherchant constamment à se rapporcher du septième art, avec plus ou moins de réussite. Avec sa trame terriblement triste d'entrée de jeu et aux allures de descente aux enfers sans issue, celui que l'on n'imaginait pas forcément appeler une suite avait un petit quelque chose de Shawshank Redemption du jeu vidéo, ne laissant pas forcément entrevoir un dénouement clairement définissable comme heureux, et nous avait pris au corps en misant tout sur un duo de prime abord déséquilibré, avec ces deux personnages pas faits spécialement l'un pour l'autre. Sans forcément proposer le meilleur scénario de l'histoire du jeu vidéo, The Last of Us nous en offrait un des plus touchants et sincères, et savait trouver son équilibre entre la violence noire d'un monde déchiré, incarnée par un Joel brut et sans pitié, et la douce sensibilité de l'espoir d'un nouveau monde, reposant sur les frêles épaules d'Ellie, encore un peu naïve. À travers une épopée sous forme de road trip visitant le nord des États-Unis durant les quatre saisons d'une année inoubliable, le testament d'une génération trouvait la recette la plus juste et efficace possible pour ouvrir une porte vers la nouvelle qui attendait son heure, placée sous le signe du jeu vidéo encore plus cinématographique, même si très peu ont en vérité réussi à suivre les traces du modèle jusqu'au bout. Ainsi, en dépit d'une fin potentiellement ouverte, à quoi pouvait donc bien jouer Naughty Dog en prenant le risque de poursuivre une bien jolie histoire qui se suffisait à elle-même, en fin de compte ? Ceci surtout en la promettant explicitement comme plus dure, plus sombre et plus violente, essentiellement aux commandes d'Ellie – trailer d'annonce du jeu mis à part, en décembre 2016, il faudra attendre septembre 2019 pour confirmer la présence de Joel dans cette suite !

 

 

 

 

Si The Last of Us fut un succès d'estime quasi inattaquable sur bien des points, nul ne peut contester que sa plus grande force se situait dans l'écriture et l'interprétation du duo constitué par le contrebandier blasé de tout mais au grand cœur, et l'adolescente immunisée désireuse de sauver l'humanité. Comment cette "Part II" pouvait-elle faire aussi bien en partant du postulat que le duo serait de toute évidence séparé, peu importent les motifs ? Le studio ne jouait-il pas très gros avec cette perspective de déconstruire son propre mythe et de tout remettre en question ? Certes, une opération similaire avait été tentée avec l'exceptionnel Uncharted 4: A Thief's End, désireux de mettre son sympathique héros à la retraite et de le faire rempiler pour une ultime aventure aux allures de "fois de trop" (scénaristiquement, pas en terme de qualité de jeu !), au point de le pousser jusqu'à une véritable introspection dont on n'imaginait pas la série possible, malgré une amorce non négligeable sur le troisième opus en 2011. Cependant, il ne s'agissait que de l'histoire d'un seul homme ou presque, et l'objectif était de clôturer une série franchement feel-good en dépit des centaines de cadavres que le charismatique "Nate" semait derrière lui. Dans The Last of Us Part II, les enjeux sont tout autres, et il est globalement impossible de les justifier sans rien "spoiler", même si la thématique de la vengeance et de ce fameux "événement dramatique" auquel allait être confrontée Ellie laissait augurer d'une nouvelle introduction forte en émotions. Naughty Dog avait cherché à cacher son jeu, et trouvera même le moyen de très bien le cacher durant les premières heures, aussi bien pour quiconque avait disséqué les quatre bande-annonces – à raison d'une par an entre la PlayStation Experience 2016 et l'Outbreak Day 2019 – qu'aux yeux de celles et ceux qui avaient préféré s'en priver délibérément, peut-être à raison. La suite est tout simplement, à mes yeux, impossible à expliquer et analyser sans entrer dans des détails explicites, aussi je vous invite à ne dérouler le bloc caché entre les deux captures d'écran ci-dessous qu'en connaissance de cause. Je rappelle (une dernière fois) que cette section de ma critique "spoilera" les deux éléments clés que Naughty Dog et Sony ont cherché à masquer aux joueurs durant toute la promotion du titre, mais ne développerai pas trop au-delà de ceux-ci ; si vous vous êtes uniquement fait(e) dévoiler ces éléments les plus sujets au spoil, cette partie ne vous en gâchera pas vraiment plus, n'évoquant pas du tout explicitement la fin du jeu :

 

 

 

 

Abby rôde

 

 

Nous voilà donc dans cette étrange section de ma critique, pour le coup parfaitement unique sur ce site, qui fouillera dans les tréfonds du synopsis de The Last of Us Part II sans prendre de gants, et vous expose à toute forme de spoilers ou presque sur ce dernier, ultimes chapitres mis à part. Cette partie de l'article se destine donc aux personnes ayant déjà terminé le jeu et souhaitant juste connaître mon avis sur certains détails de son scénario, ou bien que ne comptant pas forcément y jouer et ayant été exposé(e)s, délibérément ou non, aux fuites survenues en amont. Je n'évoquerai cependant pas le dénouement du jeu explicitement ni ce qu'il advient des personnages dans l'épilogue, des fois que vous ayez envie de savoir jusqu'où pouvaient bien aller tous ces étranges secrets que cachait la communication autour du jeu, pour mieux en comprendre le véritable concept, sans pour autant tout savoir de son scénario complet. Vu que vous êtes déjà prévenu(e)s de longue date, rappelons sans plus tarder les deux éléments les plus sujets à controverse du titre de Naughty Dog : tout d'abord, Joel est sauvagement massacré et meurt vers la fin du premier chapitre, après environ deux à trois heures de jeu ; ensuite, on n'incarne pas que Ellie, loin de là, durant les 25 à 30 heures généralement constatées pour venir à bout d'un scénario étonnamment long pour un jeu de ce type. Pendant un gros tiers de l'histoire, pour ne pas dire pas loin de la moitié, The Last of Us Part II ne nous propose pas, mais nous impose d'incarner celle qu'il définit de lui-même comme son antagoniste très rapidement dans le déroulement du scénario : Abby Anderson, celle qui exécute froidement Joel à coups de club de golf sous les yeux d'une Ellie impuissante devant le massacre de son père adoptif. En nous faisant initialement jouer ce personnage surprenant et jusqu'ici inconnu ou presque (*) et ce dès le premier chapitre du jeu, les "Dogs" l'entourent d'un voile de mystère très vite effacé par la cinématique révélant son rôle de meurtière du protagoniste auquel nous nous étions tant attaché(e)s avec le premier épisode. Une réaction mécanique s'opère alors chez le joueur, sous forme d'une haine sans bornes envers cette femme qu'on nous forçait à jouer juste avant sans savoir quelles étaient ses intentions, tempérée par le calme plat de la séquence qui s'ensuit et où nous participons au deuil d'Ellie sans trop savoir comment la réconforter, encore nous-même sous le choc de cet événement aussi inattendu que diaboliquement maîtrisé. Dès lors, la vengeance évoquée par Naughty Dog en tant que thématique principale devient inexorable, et la violence de la scène ne fait que décupler nos envies de partir à la recherche d'Abby et des siens pour leur faire la peau, avec l'état du Washington pour seule et unique piste. Plus pénible encore, après avoir traversé sa capitale durant trois jours éprouvants aussi bien moralement que physiquement, et se concluant sur ce que l'on ose imaginer être le pire cliffhanger jamais osé par le studio, nous reprenons le contrôle de la "méchante" pour revivre ces trois longs chapitres de son point de vue.

 

(*) Abby fut en vérité révélée dans la bande-annonce ultra sombre et violente de la Paris Games Week 2017, mais sans jamais être nommée dans la communication officielle du studio, ni jamais montrée de nouveau avant la sortie du jeu.

 

 

 

 

On dit du diable que le plus grand tour qu'il ait jamais réalisé fut de faire croire qu'il n'existait pas ; il y a quelque chose de comparable, et justement de diabolique donc, dans la stratégie de communication de Naughty Dog autour de sa dernière production vedette. La manœuvre supposément la plus habile du studio fut effectivement de dissimuler l'existence d'un arc narratif propre à Abby, d'une longueur pas loin d'être équivalente à celui d'Ellie, afin de nous faire revivre une série d'événements déjà vécus à travers le regard de celle que l'on identifie comme l'héroïne du jeu – unique personnage visible sur la jaquette, promotion du titre faite intégralement autour de son histoire, de sa vengeance, ou encore une édition collector américaine à son nom avec des goodies reproduisant ses propres objets personnels. D'une certaine façon, le studio ne fait que réinventer à sa manière un concept déjà vieux de plus de vingt ans, popularisé par le mythique Resident Evil 2 avec ses scénarii A et B, où l'on vit la nuit cauchemardesque de Leon et de Claire dans Raccoon City, chacun leur tour, sous forme de destins croisés et avec leurs cheminements et équipements spécifiques. Ce qui constituait un vrai argument de vente dans le titre de Capcom, tout simplement parce que cela en doublait la durée de vie et diversifiait l'expérience de jeu, avec deux personnages foncièrement différents, aurait pu (et dû ?) en être un également pour celui de The Last of Us Part II, sauf que Naughty Dog a décidé de le taire. En masquant l'existence d'une vraie "deuxième partie dans Part II", l'équipe de Neil Druckmann prenait un risque aussi compréhensible qu'étrange en faisant croire aux joueurs du monde entier qu'ils n'allaient incarner qu'Ellie, et exigeant de la presse et des influenceurs, dans leurs critiques, de ne rien révéler ni sous-entendre au sujet de cette grosse dizaine d'heures de jeu pourtant essentielles à une évaluation objective du titre. Je ne vous cacherai pas que je suis à titre personnel bien heureux de ne pas avoir été tenu de rédiger ce type de test, constituant un exercice à mon sens très périlleux et dans lequel je n'aurais pas été sûr de spécialement briller, livrant donc un article qui m'aurait fortement déplu.

 

 

 

 

Cependant, s'il est compréhensible que Neil Druckmann et les siens aient souhaité préserver le plus de suspense possible concernant les deux principales surprises de leur création, il demeure terriblement dommage de ne pas pouvoir s'attarder sur la jouabilité d'Abby (qui, en plus, bénéficie de la meilleure arme du jeu, de mon point de vue !) et l'exploitation de ce fascinant personnage dans un test : cela revient, en grande partie, à ne pas être vraiment capable de dire pourquoi on a aimé (ou non) The Last of Us Part II – voire pourquoi on l'a adoré ou détesté, tant il s'avère terriblement clivant pour un triple A de sa trempe. Le tour de force consistant à nous faire incarner un ennemi que l'on ne peut initialement que haïr, et dont on a le sentiment qu'on nous impose une inacceptable empathie envers son passé (tout aussi triste que celui de Joel ou Ellie, en fait !), est pourtant maîtrisé avec brio, et je pense qu'il aurait pu être de bon ton de faire confiance aux professionnels agréés en les autorisant à ajouter un encart de ce type dans leurs critiques pour développer ce qui constitue l'âme d'une œuvre dont Ellie est le cœur, ou inversement. Je ne reviendrai pas sur la stupidité de personnes désireuses de s'attarder sur le physique très musclé de cette "anti-héroïne" pour la rejeter, hormis bien sûr pour rappeler une fois de plus la bassesse effarante de leur niveau de réflexion, et surtout mettre en lumière l'importance de n'accorder aucun crédit à quiconque déciderait de dénigrer The Last of Us Part II juste "parce que Abby" … alors qu'elle en est un point fort inattendu, dont l'intérêt se dessine au fil des séquences jouées en sa compagnie, jusqu'à ce point culminant où les destinées des deux jeunes femmes se rejoignent, pour un final que l'on n'ose jouer tant on a peur de ce qui va se produire, et pire encore, peur de ce que nous allons devoir accomplir manette en main. L'histoire d'Abby est un prétexte habile pour tout remettre en question et chambouler nos conceptions du bien et du mal dans un monde dévasté où des civilisations tentent de se recréer, et où se posent encore de nombreuses interrogations en tous genres, et Naughty Dog prend l'incroyable risque de déconstruire son duo de héros iconique et de questionner le bien-fondé de nos actes que l'on supposait héroïques et justifiés. Sans cet arc narratif certes un peu longuet, voire bancal lorsqu'il nous jette à la figure quelques séquences allant du maladroit à l'inutile (quand elles ne tutoient pas l'injustifiable), la suite de The Last of Us n'aurait été qu'une simple histoire de vengeance, plus directe et violente que la quête de survie de Joel qui ne cherchait plus vraiment à prendre sa revanche sur la vie qui lui avait cruellement ôté Sarah. Je pourrais encore développer davantage cette section "divulgâchante" mais il n'est pas exclu que bon nombre d'entre vous aient apprécié d'en apprendre un peu plus sur le véritable fond de The Last of Us Part II sans pour autant rien connaître du réel développement d'Abby, et de pourquoi il a autant de poids dans la qualité finale du titre ; aussi je vous laisserai découvrir le dénouement plus que surprenant de ce dernier par vous-mêmes, pour l'aborder à nouveau en surface et avec des gants en avant de conclure cet article véritablement éprouvant à rédiger.

 

 

 

Le jeu de la maturité

 

 

Après une trentaine d'heures oscillant entre l'interminable et le parfois insoutenable, et le sentiment récurrent qu'on ne va jamais en finir, The Last of Us Part II dévoile enfin son générique rendant hommage à toutes celles et ceux ayant accouché dans la douleur de ce jeu vidéo proprement sidérant. Là où je n'avais pas eu peur de décrire le premier volet comme "une expérience dont [les joueurs] ne ressortiront pas indemnes", la question des qualificatifs à trouver se pose réellement à l'heure de conclure sur les conséquences de cette suite et de son épilogue littéralement bouleversant. On l'aimera ou on le détestera, mais le grand final de cette "Part II" fait preuve d'une maîtrise totale de son sujet, ouvrant autant de portes qu'il en referme, nous laissant baigner dans un océan de questions tout en apportant des réponses implacables, désirées ou non. Là où le deuxième tiers du jeu (ou son troisième quart, comme vous voudrez) s'étire et se perd dans des longueurs confinant au pénible, erreurs bien réelles que jamais son ancêtre n'avait commises, son dénouement marque au fer rouge et rappelle les sensations de 2013, avec ce zeste de maturité supplémentaire qui nous fait ressentir ce qu'était une baffe à laquelle on s'était préparé(e)s après la première, mais dont on n'avait pas su anticiper la portée ni la puissance. Non, je n'irai pas jusqu'à dire que la fin de The Last of Us Part II est meilleure que celle de son illustre prédécesseur ; ce n'est pas qu'il soit impossible de la dépasser sur le simple plan émotionnel, mais tout simplement, les sensations qu'elle procure sont toutes autres. De l'émerveillement, on passe au soulagement, tant on a eu peur que Naughty Dog gâche tout et se vautre dans les grandes largeurs, au terme d'une ultime ligne droite emplie d'embûches et qu'il doit bien être un des rares à gérer avec autant d'assurance. Certes, tout le monde ne partagera pas cet avis, et je concède m'être moi-même demandé si, subjectivement, j'avais aimé cette façon de conclure une histoire aussi hors du commun, surtout en ayant eu l'impression de parfois me forcer à progresser lorsque mes impératifs professionnels m'y poussaient. Il m'arrive même encore de me la poser de temps en temps, et cette interrogation a continué de m'envahir à plusieurs reprises pendant la rédaction de cet article.

 

 

 

 

 

La vérité du terrain, comme on a coutume de le dire dans le milieu du sport, s'est toutefois imposée à moi avec une fatalité délicieusement apaisante : celle du bon vieux New Game + et de son verdict. Si terminer The Last of Us Part II une seule fois peut tout à fait suffire pour s'en faire une opinion complète, le révélateur de la rejouabilité livre un bilan plus que satisfaisant, qui permet de renforcer la cohésion scénaristique d'un synopsis complexe et largement plus ambitieux que celui de l'œuvre fondatrice. Si les effets de surprise, bons comme mauvais, ont disparu, la magie globale opère toujours autant, et les quelques séquences dispensables n'ont pas davantage trouvé grâce à mes yeux. En revivant une seconde fois une aventure aussi éprouvante, ce qui bien sûr permet de compléter la collection de trophées par ailleurs bien plus accessible que celle du premier volet, et passé le choc initial, on examine tout un tas de détails qui nous étaient légitimement passés sous le nez lors du premier loop, et on finit par accepter avec plus d'aisance le quasi sans-faute d'un studio que l'on pensait arrivé à maturité avec Uncharted 4, mais qui en avait clairement encore (beaucoup) sous le capot. Pour ne rien gâcher, cette seconde partie fut l'occasion de découvrir les doublages français d'excellente facture, n'ayant franchement pas grand-chose à envier aux originaux, ce qui n'est pas rien tant ces derniers se montrent au sommet de leur art. Naughty Dog s'est régulièrement vanté de ses animations mais aussi de sa motion capture, là encore un cran en avance sur la concurrence, et il n'y a littéralement rien à jeter : à partir de là, comment pourrait-on interdire aux détracteurs de ce type de jeu de s'en moquer en le comparant à un film ? The Last of Us Part II n'est réellement pas loin de constituer l'approche la plus fine du cinéma que le jeu vidéo ait tentée sur cette génération, et de fait, sur l'intégralité d'entre elles. Il rappelle également la construction d'une série déclinée en plusieurs saisons, avec ses fameux flashbacks et ses épisodes de trop. Quoi qu'il en soit, peu importe sa source d'inspiration, ou sa volonté de faire progresser son medium : en plus de nous impliquer et de nous prendre aux tripes, il offre une expérience vidéoludique intense, complète, et qui concrétise avec brio des ambitions qui auraient coulé un sacré paquet de projets chez d'autres créateurs.

 

 

 

 

Qu'il est difficile d'émettre un jugement final ! Même à l'heure de la conclusion, il demeure toujours un peu compliqué d'admettre que The Last of Us Part II est un chef-d'œuvre, tout simplement parce qu'il est moins "évident" que son aîné. Ce qu'il faut en vérité retenir, c'est que les deux titres ont beau énormément se ressembler, beaucoup de choses les opposent, en partie parce que leur propos diffère sur le fond, jusqu'à en venir à ne plus reconnaître ce que nous avions tant adoré sept ans plus tôt. Et quand Naughty Dog a le malheur de nous replonger en terrain connu, c'est pour mieux nous rappeler que non, les choses ont changé, et que nous allons devoir vivre – que dis-je, subir – une expérience encore plus forte, plus violente, et au moins tout aussi marquante. Si je ne serai sans doute jamais capable de préférer ce second épisode au premier, parce que l'effet de surprise est en partie passé et que la claque n'est plus la même, il ne me sera pas pour autant possible de livrer un verdict autre que tout simplement dithyrambique. Grandiose dans sa réalisation et sa mise en scène absolument intouchables, en énorme amélioration sur des éléments de gameplay que l'on avait peur de voir dépassés voire indéfendables, la suite du mythique The Last of Us réussit à peu près tout ce qu'on pouvait être en mesure d'attendre d'elle sur la forme et le fond, jusqu'à une narration cherchant délibérément à nous faire souffrir et pratiquement tout remettre en question. Si l'on demeure en droit, en tant que simple fan, de se demander encore et toujours si cette seconde partie était indispensable après la success story justifiée et méritée de la première, un regard plus objectif pousse à s'incliner devant les partis pris radicaux d'un studio au sommet de son art, et dont les errances heureusement rares lui évitent un bilan qui aurait été terriblement douloureux. En fin de compte, cette "Part II" donne l'impression d'oublier peut-être un peu les fans de la première heure, mais aura le mérite de révéler surtout lesquels sont les plus stupides et intolérants, et surtout, elle cherche à aller de l'avant, faire progresser un style de jeux vidéo, pour ne pas dire une industrie tout entière. Le prix à payer pour un tel aboutissement est aussi considérable que problématique et on espérera encore naïvement que les éditeurs apprendront de ces situations, et qu'un jour nous pourrons tou(te)s jouir de l'existence de joyaux rares comme The Last of Us Part II sans que rien ne fasse polémique autour d'eux. Car oui, j'ai longtemps imaginé et même fermement cru que je ne le penserais et/ou ne l'écrirais jamais, mais c'est un fait : The Last of Us Part II est un jeu vidéo exceptionnel, qui mériterait de marquer son temps et son univers tout entier. Le soulagement de pouvoir le dire enfin est tout simplement immense, et à la hauteur des épreuves aussi impitoyables que fascinantes que l'on aura dû traverser pour parvenir à ce constat.



J'ai adoré / aimé :

 

+ Désarmant de beauté

+ Du réalisme quasi irréel avec un supplément d'âme rare

+ Ellie est vraiment, vraiment un personnage fantastique

+ Sa Némesis n'est clairement pas en reste

+ Interprétation et doublages (VF comprise) au top du top

+ Bande originale peut-être encore plus soignée et profonde

+ La réalisation et la mise en scène, tellement dans une autre dimension

+ Seattle en ruines, un terrain de jeu fascinant et riche

+ On a passé un cap en terme de level design

+ Souci du détail permanent et quasi inattaquable

+ Le gameplay a grandi et vraiment atteint sa maturité

+ Une IA en très nette amélioration

+ Davantage de diversité côté ennemis

+ Des affrontements beaucoup plus intéressants

+ Terriblement audacieux en terme de parti pris

+ Grande cohérence d'ensemble d'un point de vue lore

+ Bonne rejouabilité, où le New Game + n'est pas qu'un prétexte

+ Naughty Dog s'est enfin décidé à se consacrer à 100% au solo !

+ Une vraie belle révolution côté accessibilité

+ Un jeu qui marque au fer rouge, qu'on aime ou non ses choix narratifs

+ Une vraie belle œuvre essentielle à l'évolution du genre

+ Très, très long…

 


J'ai détesté / pas aimé :

 

– … mais TROP long

– L'aspect survival-horror devenu tristement secondaire

– L'IA demeure quand même perfectible, même si ça choque moins

– Une sensation de déjà vu et de redondance, de temps en temps

– Quelques séquences franchement inutiles, gratuites, voire discutables

– Deux ou trois choix scénaristiques encore difficiles à avaler

– Parfois en souffrance sur PS4 "classique"

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