Le hasard fait parfois bien les choses. Désireux d'intituler un article aux allures de première pour moi – la réécriture intégrale d'une review d'un jeu déjà proposée par mes soins par le passé – en rendant un hommage à une des inspirations les plus marquées du titre concerné, j'ai réalisé que j'avais "réellement" rédigé vingt-huit nouvelles critiques de jeux vidéo après la plus ancienne proposée sur ce site, et ce avant d'écrire au sujet de sa version "remasterisée". Entre-temps sont passés par là des retours sur Grand Theft Auto IV ou Max Payne 3, les chroniques de mes découvertes tardives des Zelda 3D ou de Shadow of the Colossus, la lettre d'amour au magnifique Uncharted 4 ou encore le coup de cœur inattendu que constitua Persona 5. À l'occasion des cinq ans (déjà !) d'une des créations les plus marquantes de la décennie et considérée unanimement comme une des meilleures de sa génération, et de la première vraie présentation d'une deuxième partie que j'attends tout autant que je la redoute, j'ai souhaité livrer une analyse plus complète, plus moderne, de l'acclamé The Last of Us, un de mes jeux préférés de tous les temps, incluant les deux versions existantes cette fois-ci, ainsi que le contenu additionnel quasi essentiel qui faisait défaut à l'opinion émise fraîchement en juin 2013. Oubliez donc mon test d'époque (agrémenté de sa mise à jour de l'été 2014), même s'il restera conservé intact et ne bougera plus d'ici, un peu à l'image d'une version PlayStation 3 à laquelle il devient peu probable que je retouche en dépit des souvenirs exceptionnels que je lui associerai pour l'éternité ; voici mon ressenti définitif sur l'un des jeux vidéo les plus plébiscités de tous les temps, entre réécriture d'une critique et analyse d'un héritage désormais bien réel.
Note sur les conditions de jeu :
Si je n'ai toujours pas touché à son mode en ligne, que j'estime tout aussi dispensable qu'il peut attiser ma curiosité (joli paradoxe, non ?), j'ai désormais la prétention de connaître The Last of Us et son DLC Left Behind sur le bout des doigts. Ce sont tout simplement quatre parties complètes que j'ai réalisées sur PS3 (une en mode difficile pour la découverte, une en "Survivant" par la suite, une en New Game + facile pour dénicher tous les collectibles, et enfin un dernier NG+ en "Survivant" avec une spectatrice attitrée à qui je souhaitais le faire découvrir), deux sur la réédition PlayStation 4 (dont un speedrun d'à peine six heures en mode facile totalement improvisé !), avant de compléter une septième aventure plus récemment : le mode "Réaliste" intégré d'office à The Last of Us Remastered, jamais tenté sur PS3 malgré un season pass en ma possession, obtenu essentiellement pour découvrir le DLC un an après la sortie initiale du jeu. L'intégralité des captures d'écran de cet article provient de mon exemplaire personnel du remaster PS4 (via le "white disc" promotionnel) et a été effectuée par mes soins.
Look for the Light
En juin 2014, un an jour pour jour après avoir reçu un exemplaire de The Last of Us commandé en dernière minute sur Amazon et entamé l'aventure le soir même, je pouvais enfin mettre fin à cinquante-deux semaines d'abstinence, remplissant un pari fort que je m'étais juré de tenir : ne pas relancer une seule fois, durant une année entière, ce jeu vidéo incroyable m'ayant occupé trois belles et chaudes journées estivales passées à me priver d'un soleil radieux, volets clos. The Last of Us m'avait filé une claque ahurissante une vingtaine d'heures durant, de sa fameuse introduction décrite comme "la meilleure de tous les temps" (ce qui, de mon point de vue, demeure toujours un petit peu exagéré) à sa conclusion, là par contre, d'une aussi indéniable que rare justesse – je n'ose dire "perfection". Rester sur cette première impression et ne plus y retoucher pour mieux le redécouvrir, et mettre à l'épreuve cette première impression peut-être trop positive, voici le défi que je m'étais lancé, quitte à briser le mythe et me dire, douze mois plus tard, que finalement non, The Last of Us n'était pas si extraordinaire que ça. Entre-temps étaient notamment passés Grand Theft Auto V (surtout), m'ayant occupé plus de 500 heures dont les deux tiers en ligne, mais jamais sans me procurer le coup de cœur intemporel de son prédécesseur (je vous renvoie ici à mon article à ce sujet) ; Beyond: Two Souls (que j'avais apprécié, pas autant que Heavy Rain, et gratifié d'une courte critique par ailleurs) ; ou encore le génial Portal 2 avec pas mal de retard, et Assassin's Creed IV: Black Flag, ou la curieuse sensation que le meilleur jeu d'une série pouvait être celui semblant le moins lui appartenir. De bien belles expériences plutôt variées et pouvant me faire relativiser sur l'estime potentiellement excessive que je portais au titre testament de la PS3 livré par Naughty Dog, studio dont les productions suscitaient une objectivité très fragilisée chez moi. Avais-je tout simplement surestimé The Last of Us à sa sortie, l'ayant après tout acheté après avoir découvert les notes incroyables attribuées par la presse alors que je n'en attendais rien ? Une telle relecture me semblait essentielle, même si rarement ma première impression sur un jeu vidéo rejoué longtemps après fut prise à défaut – j'en veux pour parfaite illustration la redécouverte récente de Max Payne 3 plus de quatre ans après ma dernière partie.
Quelques jours plus tard, à mon grand soulagement, rien n'avait changé, au point de revivre les mêmes craintes lors d'une entrée en matière que je persiste, cinq runs encore plus tard, à trouver toujours moyenne et manquant de cachet (je parle non pas de l'introduction mais de toute cette partie où Joel et Tess crapahutent dans Boston jusqu'à rencontrer Ellie). Mais surtout, au point de reprendre la même baffe dans la tronche, après en avoir encore plus bavé au prix d'une expérience en mode "Survivant" pour le moins éprouvante. Mon opinion devenait alors ferme et définitive : oui, The Last of Us était un des meilleurs jeux auxquels j'avais joué, peut-être le meilleur sur une PS3 qui ne manquait pas de références à mes yeux jusque-là, et cela n'était plus contestable. J'allais alors tenter mon premier NG+ dans la foulée afin de partir enfin à la chasse aux trophées, prévue quoi qu'il arrive avant même d'entamer la seconde partie (7% seulement de complétion après un an, pour un jeu que je disais autant aimer, c'était inacceptable !), explorer un peu plus en profondeur l'univers d'un jeu finalement plus vaste que prévu, et mieux connaître son lore assez riche grâce aux innombrables documents disséminés tout au long de l'aventure. Surtout, au début de cet été 2014 particulièrement pénible sur le plan personnel, et où redécouvrir "TLoU" me faisait un bien fou, telle la lumière à chercher au milieu de la pénombre, je venais d'acquérir la version boîte du season pass en soldes, une première dans ma vie de joueur constituant en outre un ajout qualitatif à ma collection. Avec cinq mois de retard, je découvrais Left Behind, son seul et unique contenu additionnel solo, sorti un 14 février assez symbolique au vu du romantisme sous-jacent de sa trame. Complété en quelques heures, ce DLC m'offrait de quoi prolonger le plaisir d'un jeu que je savais aimer plus que de raison, et rendre mon attachement encore plus fort au prix d'une extension à la hauteur du jeu principal, notamment en terme d'émotions. C'était dit, The Last of Us ne me décevrait pas, lui, à un moment où pas grand-chose me souriait dans la vie, il faut bien le reconnaître. Et si j'avais, malgré tout, quand même un peu trop surestimé un titre aux allures de rayon de soleil dans une bien triste période ? Il fallait bien une version remasterisée, comme pour coller à cette version 2.0 de mon existence lancée progressivement du printemps 2015 jusqu'à l'été 2016, pour en avoir le cœur net une bonne fois pour toutes…
Naughty Dog impose sa patte
Mon premier contact avec la version Remastered du consacré "GOTY" 2013, mi-septembre 2014, ne se fit pas forcément dans les meilleures conditions, puisque sous forme d'un speedrun totalement improvisé avec quelques potes autour, des bières, un éclairage inadapté, et un moniteur PC 21" très loin du téléviseur HD 37" sur lequel j'avais fait mes armes. Pire encore, même si je m'étais amusé et avais pris du plaisir à élaborer des stratégies d'esquive de plusieurs gunfights pour finir le jeu en à peine plus de six heures, j'avais très peu goûté au framerate de 60fps (fort heureusement optionnel), qui déjà à l'époque m'agaçait sur ce type de titre. Passée cette expérience aussi sympathique qu'anecdotique sur le plan de la nouvelle analyse de ce jeu culte, je n'allais y revenir que 15 mois plus tard, enfin possesseur d'une PS4 et de cette réédition, pour clôturer une année 2015 aux allures de transition majeure. Eh oui, c'est bel et bien deux ans et demi plus tard que je me lançais, déjà pour la sixième fois (!), dans The Last of Us – d'emblée accompagné de Left Behind cette fois-ci – et enfin dans des conditions optimales, avec à nouveau un spectateur désireux d'en vivre l'expérience comme s'il suivait les épisodes d'une série avec assiduité. Je ne peux d'ailleurs que recommander à celles et ceux connaissant déjà ce titre, et désireux de le revivre tout en le faisant découvrire à un(e) ami(e) pas forcément en phase avec ce type de jeu, de procéder de la sorte en exploitant l'excellent chapitrage du titre. Au fil du temps, j'avais appris à découvrir de nombreuses opinions diamétralement opposées à la mienne concernant ce titre, ou bien plus mitigées, fustigeant une jouabilité convenue et assez classique, le qualifiant de "mauvais survival", voire l'accusant de prévisibilité, chose qui me surprendra toujours. J'avais aussi visionné The Road ou encore I Am Legend depuis, et maintiens que sans forcément proposer le meilleur scénario de l'histoire du média ou se poser en rival crédible du septième art, "TLoU" savait nous happer au travers de ce long voyage unique en son genre, et surtout, formidablement bien raconté pour un jeu vidéo. La génération "PS360" (ou génération HD, comme vous le voulez) avait posé les bases d'un jeu vidéo nouveau, désireux de rivaliser avec le cinéma et d'apporter beaucoup plus de narration dans le gameplay, et c'est avec The Last of Us qu'elle a trouvé son meilleur représentant. Un constat d'autant plus fort que cette ère vit fleurir bon nombre de jeux assumés comme "narratifs", des créations de Quantic Dream (Heavy Rain et Beyond: Two Souls) aux héritiers du point 'n' click, Telltale et leurs titres au format épisodique. Mais alors, pourquoi retenir un titre à la jouabilité plus classique comme référence en la matière ?
La nouvelle saga de Naughty Dog, que l'on imaginera alors longtemps n'être qu'un titre unique et se suffisant totalement à lui-même, se présentait pourtant sur les mêmes bases que la trilogie à succès Uncharted, à première vue. C'est d'ailleurs à travers le prisme de la prévisibilité que j'en percevais le contenu (comme quoi…), ne le précommandant même pas à l'époque car modérément emballé par ce que nous étions sans doute (trop) nombreux à voir comme un "Uncharted avec des zombies", votre serviteur en tête. En outre, la thématique des morts vivants et des univers post-apocalyptiques avait été plus que surexploitée durant cette génération, tantôt avec succès, souvent jusqu'à l'excès. Plus étonnant encore, si Neil Druckmann et son équipe semblaient avoir confiance en leur nouvelle production, la prudence était de mise car personne n'imaginait en quoi "TLoU" allait être capable de révolutionner quoi que ce soit. On imaginait un énième survival à la troisième personne, à la plastique divine (quoique sans doute moins "carte postale" que les aventures de Nathan Drake tout autour du globe, thématique plus sombre oblige) mais à la profondeur très relative, voire inexistante si l'on choisissait de se poser en défenseur d'un supposé bon goût visant à encenser l'indépendant, le hardcore gaming et reniant le jeu vidéo à grand spectacle (voici l'occasion d'insérer une parenthèse totalement gratuite visant à rappeler l'existence d'un petit billet d'humeur à ce sujet). Jusqu'en juin 2013, nous ne savions pas qu'après le bond en avant incroyable effectué par le studio californien entre ses deux premiers Uncharted, la même marge de progression nous serait dévoilée entre un Uncharted 3 excellent mais un peu plus mou, et une nouvelle IP aux allures de testament d'une génération. Nous aurions dû nous rappeler combien, et si souvent par le passé dans l'histoire des jeux vidéo, un titre de fin de vie d'une console peut être une véritable merveille en tirant toute la quintessence de celle-ci. Seulement voilà, ce dont nous avions peur, c'était vraiment que The Last of Us ne révolutionne rien, et ne fasse office que de très joli cadeau d'adieu à une PlayStation 3 qui aura mis un temps fou à s'imposer dans les foyers, et se sera cherché une égérie jusqu'au bout. C'est là où nous nous sommes trompés et, fort heureusement, avons été très nombreux à comprendre où se situait le tour de force de Naughty Dog, consistant tout simplement à marquer l'histoire du jeu vidéo en intégrant la narration dans le gameplay comme sans doute personne ne le fit aussi bien jusqu'ici.
On ne reviendra pas trop en détails sur l'évidente claque visuelle que constitua "TLoU", en toute fin de vie d'une machine de 2006 poussée dans ses derniers retranchements. C'est davantage au niveau de son âme et de son cachet, comme les fameux décors "carte postale" des Uncharted mis au monde par les mêmes équipes aussi consciencieuses que passionnées, que le nouveau jeu de Naughty Dog fait la différence. Le photoréalisme n'a d'intérêt que lorsqu'il met en scène quelque chose de vivant, de palpable, qui donne à la fois l'impression "d'y être" mais surtout, sait se rendre inoubliable, et se dire à chaque instant "je reconnais bien la patte du studio". Un vrai délire d'appréciation artistique diront certains, une simple reconnaissance d'un talent de réalisation largement au-dessus de la moyenne, pour d'autres – et tout simplement, pour la majorité. Je ne cherche aucunement ici à me conformer à une opinion générale, d'autant plus que chercher à convaincre, cinq ans plus tard, que The Last of Us est un jeu vidéo d'exception, n'a pas une grande utilité en soi. Cependant, il convient d'explorer chaque facette de son insolente réussite sur tous les plans pour mieux expliquer l'impact que ce titre pas comme les autres a pu avoir sur l'industrie, a minima du côté de chez Sony. En permettant au joueur d'identifier une œuvre bien spécifique, et en y insérant tout un tas de codes aussi propres à l'univers post-apocalyptique qu'à ceux d'un studio ayant formidablement mûri avec Uncharted, ce nouveau jeu s'offre un supplément d'âme quasi unique que son duo de personnages déjà légendaire aide à rendre encore plus fort, plus percutant dans l'esprit. À travers un character design soigné et surtout d'un équilibre exceptionnel, "TLoU" réhabilite le PNJ accompagnateur, sans doute pour nous habituer à son importance hors du commun, et à nous conduire à faire corps avec ce personnage que l'on rêve si vite d'être jouable. Il en découle un jeu qui offre au joueur non pas ce qu'il attend par simple prévisibilité, mais ce qu'il espère à chaque fois qu'il se dit "ça serait super si telle chose se produisant…", comme nous autorise à rêver un open world au moteur physique d'exception, mais dans son style bien entendu (car il ne faut pas oublier que The Last of Us reste un shooter linéaire avec quelques zones semi-ouvertes).
Fondamentalement agréable à jouer et cherchant à impliquer le joueur (quitte à essayer de briser le quatrième mur à sa manière, en lui faisant secouer le pad lorsque la lampe-torche s'éteint), "TLoU" ne laisse rien au hasard. Certes, sa condition d'aventure linéaire lui impose des scripts privant un peu de liberté par moments (on pensera notamment à ce fameux sniper qui en aura fait rager plus d'un), mais il n'oublie pas de lui permettre de franchir bon nombre de zones infestées d'ennemis sans jamais se lancer dans le combat, proposant une dimension infiltration que seule une intelligence artificielle désespérément limitée prendra à défaut. Reste que le stress permanent procuré par chaque séquence, en partie grâce à cette alternance subtile (et savamment dosée) entre action, exploration et contemplation, nous prend aux tripes comme rarement, en grande partie car l'identification à Joel et Ellie est forte. Je l'ai en effet déjà évoqué, mais la prestation d'ensemble de ce duo de personnages, de leur écriture à leur réalisation en passant par la jouabilité qui en découle, est parfaitement remarquable, et fait voler en éclats avec une facilité ahurissante bon nombre de standards en la matière. La lourdeur de Joel a pu être critiquée, mais n'est-il pas logique en soit que cet homme d'environ 50 ans, portant un sac et du matériel aussi lourds que tout le poids de ce passé hantant son existence, soit bien moins agile que le jeune et fougueux Nathan Drake ? N'a-t-on jamais apprécié, dans les survivals en tous genres, de subir de la plus immersive des manières le poids de l'angoisse à travers des personnages tout sauf fluides, parce qu'après tout que diable, on n'est pas aux commandes d'un super-héros blindé de pouvoirs surréalistes ? Sans aller jusqu'à prétendre que la lenteur bien réelle de The Last of Us est une de ses forces, elle se légitime en permanence, et surtout, elle a fait école quand on juge du rythme de déplacement et d'animation de bon nombre de protagonistes jouables à la troisième personne par la suite. Au point de voir Uncharted prendre la même direction trois ans plus tard…
The Two of Us
L'aspect mi-shooter mi-survival de "TLoU" a souvent été critiqué par ses plus féroces détracteurs, ce qui peut se comprendre dans le sens où des jeux d'action-aventure à la troisième personne avec des phases de tir, on en a vu des dizaines, et que lorsque cette mécanique de jeu constitue le cœur d'un survival aux munitions limitées et aux ennemis particulièrement redoutables, il n'invente pas foncièrement quoi que ce soit. Tout juste "bien réalisé" à ce niveau, The Last of Us emboîte le pas des Uncharted déjà pas spécialement réputés pour être des références en la matière – même s'il améliore très sensiblement la finition de ce type de phases, bien mieux conçues et plus immersives, la tension permanente aidant. La gestion des munitions et le système de craft, angoissants car réalisés durant l'action et non pendant une pause que les derniers Tomb Raider maîtrisent de la même façon, ne peuvent non plus se montrer supérieures à celles, au hasard, des Resident Evil. Mais il serait d'assez mauvaise foi de considérer tout ce pan du gameplay comme moyen dans ce "nouveau" Naughty Dog, ou d'y voir une faiblesse l'empêchant de mériter les louanges qu'on lui attribue si souvent. D'abord, on apprécie quand même le "mode écoute", un bon concept qui deviendra d'ailleurs de plus en plus récurrent dans d'autres aventures du genre à la troisième personne (et souvent abusivement…), fort heureusement désactivé dans les difficultés supérieures, ce qui force le joueur à davantage d'attention et d'analyse de son environnement. En outre, lorsqu'un studio cherche davantage à révolutionner l'aventure vidéoludique à travers une histoire greffée à la progression, et une ambiance superbement réussie et marquante, doit-on vraiment exiger de lui qu'il file un coup de vieux à tous ses semblables sur des mécaniques de gameplay somme toutes classiques et surtout, adaptées à une création de ce genre ? Attendre de "TLoU" qu'il réécrive les bases du third person shooter ou lui donne de nouvelles lettres de noblesse, en fin de compte, c'est un peu passer à côté de ce qu'il veut nous offrir. L'essentiel ici est de livrer une partition juste, aussi bien composée qu'interprétée, qui n'entache pas le reste du tableau proposé, et à aucun moment Naughty Dog ne déçoit à ce sujet : The Last of Us est un jeu d'action à la troisième personne très propre, et tout ce qui entoure cette simple base le sublime et fait la différence. Car passée la relative banalité d'un système de jeu il est vrai classique et sans grosses surprises, et surtout, la déception d'une intelligence artificielle trop souvent hasardeuse (ce qui est de plus en plus gênant en optant pour les modes de difficulté les plus élévés…), le successeur spirituel des Uncharted rayonne sur tout le reste.
Si les aventures de Nathan Drake étaient somme toute très orientées "tout public", offrant aux joueurs cette sensation de vivre une retranscription numérique des Indiana Jones aux commandes d'un voleur de trésors gaffeur et au grand cœur, c'est sur un tout autre ton que Naughty Dog a choisi de livrer sa production suivante. Quelque chose de plus sombre, de plus mature, de plus effrayant, est attendu ; mais surtout, et c'est là que "TLoU" se différenciera de nombreux titres glauques et adultes, il misera sans jamais les forcer sur les émotions, à travers de nombreuses séquences contemplatives emplies d'un quasi lyrisme déconcertant. Incroyablement violent et effrayant une bonne partie du temps, aussi bien dans l'inhumanité des rares survivants que dans l'horreur des différents types d'infectés rencontrés (les claqueurs, quelles "merveilles" dans ce genre !), le titre propose une dualité constante entre deux atmosphères que tout oppose. En plus de jouer sur la poésie sous-jacente d'une nature qui reprend ses droits et se remet en chemin pour émerveiller nos pupilles, le jeu propose une réflexion très bien construite sur un non-dit quasi permanent, en la personne de cette relation père-fille qui oppose Joel et Ellie autant qu'elle les rassemble. Comme évoqué en amont, l'écriture de ces deux personnages est très équilibrée, et à aucun moment on ne sent que l'adolescente n'a été envisagée comme un PNJ classique. En plus de laisser espérer au joueur la possibilité de la jouer à un moment, The Last of Us la rend plus vivante et crédible qu'aucun autre personnage supposé secondaire par le passé, et pour cause : elle est l'égale de Joel dans l'esprit de Naughty Dog, tout simplement. Ni boulet à traîner, ni side-kick de luxe, elle fait voler en éclats le modèle pourtant d'excellente facture proposé par le studio avec Elena, Sully et Chloe dans la trilogie Uncharted, en allant bien au-delà de l'écriture qualitative suscitant la simple empathie. Il est d'autant plus fascinant de voir le personnage d'Ellie réussi qu'il s'agit d'un cas particulièrement complexe, à savoir celui d'une adolescente de 14 ans, clairement orpheline, et qui n'a jamais connu le monde "civilisé" tel que nous – et Joel – l'avons vécu. À aucun moment, elle ne souffre d'un quelconque manque de crédibilité, sauf peut-être dans son attitude d'IA (encore…) dans les gunfights, ce qui nous renvoie inévitablement aux défauts de toute façon déjà expliqués précédemment. Sur tout le reste, Ellie est irréprochable, et surtout, elle échappe à énormément de clichés, sauf lorsque ceux-ci sont maniés avec un humour étonnamment délicat.
De son côté, Joel aurait pu être un personnage de fait moins intéressant, pour tout un tas de raisons. Archétype du grand gaillard costaud qui n'a plus peur de rien et manie les armes à feu comme un vétéran du Viêtnam, celui que l'on pensait être le seul héros de "TLoU" avant de s'y plonger témoigne en réalité d'une surprenante volonté de Naughty Dog de renoncer à la facilité. En faisant de Joel un véritable sale type, qui a de toute façon tout perdu et se désole quotidiennement du monde dévasté et sans avenir dans lequel il (sur)vit au point de faire régner une vraie loi de la jungle, le studio nous fait repartir à zéro pour ce qui est de faire corps avec le personnage joué. La courbe d'empathie envers Joel suit par ailleurs avec un parallélisme bluffant l'évolution de l'intensité du scénario : d'abord immense avec une introduction qui nous touche en plein cœur et donne envie de pleurer avec ce pauvre homme et l'insoutenable drame familial à la Max Payne que l'on doit subir avec lui, elle retombe totalement à plat lors de premières séquences qui posent certes les bases du synopsis "vingt ans après". Le véritable début du jeu met en scène un quinquagénaire usé, blasé de tout, peu enclin à respecter son prochain ou à faire des manières, du moment qu'il peut encore à peu près continuer de vivre, peu importe au détriment de qui. Celle qui semble être sa seule amie, Tess, n'inspire pas beaucoup plus de sympathie, et avec le temps on comprendra que tout cela est délibéré pour mieux poser les bases d'une rencontre complexe avec Ellie. Là où les oppositions entre Nathan Drake et ses fidèles compagnons reposaient souvent sur des futilités, celle entre les deux personnalités majeures de The Last of Us est plus violente, plus complexe, et ce surtout parce que leur vécu et leur recul les empêchent de s'entendre et de se comprendre malgré un but commun évident. Ce faisant, la progression de cette relation vouée à l'échec, au fil des événements, des morts autour d'eux, des lieux traversés et des saisons qui s'enchaînent, représente la clé de voûte d'une histoire sensiblement plus complexe que par le passé, et dont chaque étape se montre redoutablement bien travaillée. Plus encore qu'un chemin de plusieurs milliers de kilomètres à travers les États-Unis, c'est toute l'histoire d'une relation paternelle initialement impossible, et devenue de plus en plus fusionnelle et indispensable, que nous conte le chef-d'œuvre de Naughty Dog, et sans qu'aucune fausse note ne vienne s'y glisser.
Qu'on ne s'y trompe pas, le jeu vidéo a su bien plus d'une fois nous faire ressentir une empathie plus ou moins forte pour un PNJ / allié / personnage secondaire par le passé, notamment peu avant "TLoU" dans un registre similaire avec la première saison du The Walking Dead de Telltale – comparaison revenue très souvent à l'époque de la sortie de la nouvelle exclusivité de Sony. Cependant, en instaurant une proximité aussi permanente avec Ellie, et jouant sur ce sentiment de devoir protéger le trésor le plus précieux en vue de la survie de l'humanité (ou du moins ce qu'il en reste, tant la loi du plus fort régnant dans ce "nouveau monde" se montre d'un réalisme aussi froid qu'effrayant), une grosse partie de ce qui a pu être vécu jusqu'ici est dépassée. C'est à travers la progression terriblement bien fichue d'une relation allant de la défiance absolue jusqu'à un amour père/fille impossible que l'aventure de nos deux compagnons d'infortune se démarque et instaure une sorte de nouvelle référence en terme de narration : là où une telle évolution trouve tout son sens dans un jeu de rôle où nous faisons nous-même grandir nos personnages et affiner leurs relations, ou encore dans un "film interactif" où nos actions et décisions joueront sur lesdites affinités et déboucheront sur des issues très diverses, The Last of Us trouve le moyen d'intégrer ce système de façon scriptée mais immersive. Son concept vise en effet à proposer une histoire totalement unique, sans aucun choix décisif dans l'évolution du scénario, et au dénouement fort et pas spécialement attendu (n'en déplaise à l'intelligentsia du jeu vidéo qui l'estime totalement prévisible, on se demande encore comment), mais qui porte nos deux personnages dans chaque chapitre, chaque séquence, entre action, survie, épouvante et presque romantisme. En cela, ce n'est non pas à travers sa jouabilité (classique mais efficace quand même) que "TLoU" marque une étape essentielle dans l'histoire du jeu d'action-aventure en solo, mais bien au gré de sa narration intégrée à une progression linéaire qui trouve tout son sens dans un roadtrip où regarder derrière soi est un risque, pour ne pas dire un échec. Naughty Dog va de l'avant, emmène le joueur avec lui, le fait voyager sans trop le prendre par la main, et définit le futur d'un genre, ce qu'on ne comprendra que des années plus tard.
The Real Walking Simulator
En réussissant le tour de force de revisiter un genre pourtant très "vu et revu" en ajoutant une dimension narrative très soignée et incroyablement forte, les créateurs de Crash Bandicoot achèvent ici dix-huit ans de maturité après avoir pourtant laissé cette impression d'avoir tout donné dans les Uncharted sur cette génération de machines. Leur nouvelle création est instantanément encensée par une presse et des joueurs dithyrambiques comme rarement, et a le bon goût de tomber peu avant les bilans d'un septennat de consoles qui s'achève, marqué par Uncharted 2: Among Thieves évidemment, ou par Grand Theft Auto V sorti trois mois plus tard et dont l'impact à long terme était encore lui aussi inconnu… mais aussi par des Mass Effect, Red Dead Redemption ou The Elder Scrolls V: Skyrim pour ne citer qu'eux. Face à l'explosion des jeux en monde ouvert et/ou des jeux de rôle occidentaux, rien ne laissait supposer que des productions plus linéaires et très cinématiques, là où les films interactifs n'ont pas tant l'unanimité en dépit de l'avènement de l'ère HD, feraient le poids. Naughty Dog s'inspire en partie du succès d'un Resident Evil 4, dont il reprend par ailleurs globalement l'angle de caméra, qui avait lui aussi pris des risques en son temps et constitué un des indiscutables jeux d'une génération en fin de vie… et engendré toute une lignée de "TPS" orientés survie avec des infectés en tous genres. Restait à voir si vraiment, The Last of Us aurait un impact sur l'industrie, surtout dans la conception de jeux solo, à l'arrivée de nouvelles machines extrêmement tournées vers le jeu en ligne et qui découvraient alors tout juste les micro-transactions, et allaient exploiter jusqu'à l'overdose des concepts de contenus additionnels et autres season pass encore davantage à l'excès que ceux ayant lancé la mode. Ce n'est d'ailleurs pas particulièrement via son mode en ligne, apprécié mais jamais spécialement porté aux nues ni considéré comme partie intégrante du succès d'estime du titre, que "TLoU" s'est distingué. Peut-être un petit peu plus au travers de son contenu additionnel, souvent vu comme un des meilleurs de son époque en dépit d'une durée de vie un peu faiblarde pour son tarif élevé.
Je vais une fois de plus revenir sur Left Behind, le seul élément de The Last of Us justifiant de revenir en arrière quelque part, et de faire une concession au modèle scénaristique irréprochable du titre principal. Si son influence est bien moindre, il demeure néanmoins un contenu optionnel (et facultatif, quoique vivement recommandé) aux vertus bien spécifiques dont bon nombre de studios ont bien fait de s'inspirer par la suite. Orienter un DLC sur la destinée d'un personnage (supposé) secondaire très marquant de l'histoire principale en le rendant jouable est une évidente bonne idée, mais encore faut-il proposer quelque chose de cohérent, qui apporte du neuf par moments, et donne au joueur le sentiment d'être à la fois quasi indispensable à l'histoire… sans lui laisser la désagréable impression de chapitre(s) délibérément retiré(s) du scénario original pour vendre du contenu additionnel trop facile. Left Behind, soyons honnêtes, n'est pas loin de procurer un tel ressenti sur une partie de sa construction. Néanmoins, c'est en saisissant toute la profondeur de son concept et en appréhendant la sensibilité à la fois similaire et différente de sa narration que l'on cède à son charme irrésistible : ce n'est non pas sur la partie tronquée de l'histoire principale (qui aurait de toute façon tué dans l'œuf un de ses effets de suspense le plus forts) que cet add-on trouve tout son potentiel, mais bel et bien sur sa préquelle, touchante et très orientée "simulation de marche", autre aspect de l'action-aventure à la troisième personne très Naughty Dog dans l'esprit, et que l'on reverra pas mal par la suite.
En plus de faire le lien avec une partie de l'épilogue de The Last of Us (dont je réitérerai éternellement la perfection qu'il me semble atteindre) qui suscitait quelques interrogations sans trop ouvrir de portes, la partie "origines" de Left Behind s'inscrit dans un cadre presque transmédia, en faisant office de lien jouable entre le comic American Dreams sorti en marge du jeu principal, et la rencontre entre Joel et Ellie. Ce faisant, en plus des innombrables documents et artefacts récoltés de Boston à Salt Lake City dans l'aventure principale, "TLoU" s'offre un lore détaillé, plein de subtilités, et un historique plus fouillé que l'on pouvait l'imaginer. Son DLC donne à Ellie une importance quasi équivalente à son "père d'adoption", achevant de mettre les deux personnages sur un pied d'égalité, et se concluant sur un surprenant parallèle avec la célèbre introduction dramatique de The Last of Us. Le contenu additionnel joue de son côté sur le non-dit, avec davantage de romantisme et de subtilité, sachant de toute façon que le scénario principal fonctionnait lui aussi sur beaucoup de sous-entendus, espérant que le joueur lise entre les lignes d'un script pas si bavard que ça. À ce sujet, par ailleurs, dans le jeu principal comme dans le DLC, les doublages sont de manière globale d'excellente facture (en VO comme en VF) et ne pêchent que côté crédibilité lorsque les personnages sont séparés de plusieurs (dizaines de) mètres, leur qualité étant renforcée par des animations faciales hors du commun. Revenons à Left Behind : en plus de laisser le joueur compléter le script dans sa tête, il ne fait dans l'explicite que lorsqu'il veut répondre à une question ayant effleuré l'esprit de nombreux joueurs ayant vécu l'aventure de nos deux héros jusqu'au bout. On ne le savait pas encore à l'époque (et si ça se trouve, Neil Druckmann non plus), mais une de ses scènes les plus marquantes, sans excès de mise en scène pour autant, allait préfigurer le trailer déjà culte de la "Part II" diffusé à l'E3 2018. Dans l'air du temps mais surtout intègre, authentique et sans en faire trop, le seul et unique DLC de "TLoU" ne souhaite aucunement provoquer ou faire passer un quelconque message sociopolitique ; il fait appel à notre humanité, notre sensibilité et notre empathie, à l'image du jeu principal, et en cela il en constitue la plus parfaite des extensions qui soit, seul son tarif de base irritant quelque peu. The Last of Us Remastered, dont la jaquette mettra bien plus Ellie à la hauteur de Joel que l'originale, permettra de vivre plus aisément cette expérience intense, toujours coupée du titre original et qu'il restera plus que recommandé, à juste titre, de découvrir une fois ce dernier terminé et bien ancré dans les esprits.
Embarquant avec elle tous les contenus additionnels du jeu de base, seulement un an après sa sortie, ainsi qu'un des premiers "mode photo" qui deviendront là aussi une mode, la version Remastered propose donc elle aussi le mode "Réaliste", sorte de défi ultime pour celles et ceux ayant déjà poncé The Last of Us au moins en "Survivant". Moins idiot que le futur mode "Brutal" de la trilogie Uncharted remasterisée, ce challenge supplémentaire impose de refaire toute l'aventure dans une difficulté équivalente au mode "Survivant" question résistance aux ennemis (mais aussi de ceux-ci…), avec beaucoup moins de points de contrôle, et le tout sans aucun affichage à l'écran… munitions et niveau de vie compris (en vérité, partiellement). Le mode "Réaliste" ne faillit pas à sa tâche, se montrant totalement sans pitié, parfois peut-être au-delà de l'acceptable, instaurant un niveau de die & retry jamais vécu dans un jeu Naughty Dog, même dans les pires stages des vieux Crash Bandicoot ou dans les gunfights les plus difficiles imposés à Nathan Drake en difficulté "Extrême". S'il a un peu le malheur de mettre encore plus en évidence les tares (voire les abus) de l'intelligence artificielle par moments, ainsi que quelques vilains bugs de collision qui dérangent davantage sur PS4 que sur PS3, ce mode permet également de découvrir des propriétés d'infiltration vraiment inattendues dans un jeu finalement pas scripté que cela. Certes, il y aura des phases où le combat est inévitable car imposé par le scénario (on regrettera quand même toujours de ne pas pouvoir descendre à distance ce fichu sniper !), mais beaucoup pourront être évitées quitte à refaire la même portion plein de fois le temps de trouver comment détourner l'attention des ennemis, voire de ne jamais les alerter. Une pratique encouragée en vérité par Left Behind, qui avait permis de mettre en lumière les surprenantes capacités de The Last of Us en terme d'infiltration et de négation du combat. Dans cette optique, les phases calmes faisant la part belle à l'exploration ont quelque chose d'encore plus rassurant et apaisant qu'avant, renforçant finalement davantage l'immersion dans un titre qui n'en manquait pas. En fin de compte, et on ne s'y attendait pas forcément, mais un titre au rythme aussi savamment dosé méritait une épreuve pareille pour en sublimer la narration et nous amener à faire corps encore un peu plus avec son duo légendaire. Chose que je n'ai du coup comprise que lors de ma septième partie, terriblement éprouvante et pleine de surprises encore une fois – un comble pour un jeu d'aventure solo linéaire, n'est-ce pas ?
The First of Them?
Un an après la sortie du titre original, The Last of Us Remastered constituait sans doute la meilleure exclusivité du catalogue PS4 après huit mois d'existence (un comble !). Ce statut a fort heureusement changé depuis, parce que sont sorties depuis des nouvelles références visuelles (The Order: 1886, Uncharted 4: A Thief's End, Horizon Zero Dawn, God of War…), ou des titres au gameplay bien plus profond et complexe (Bloodborne ou Persona 5 en tête de file, bien entendu). On pourra toujours polémiquer sur la pertinence d'un remaster aussi rapide, là où il aurait peut-être été de meilleur ton de le proposer une fois le second volet annoncé (deux ans et demi plus tard, quand même !) ; reste qu'en ce début de génération, il n'était pas fondamentalement idiot de remettre le couvert en améliorant celui que beaucoup considéraient comme le meilleur jeu de la précédente commençant alors à s'éteindre, et de donner une identité aux exclusivités à venir du côté des studios third-party de Sony. Déjà oubliés le flop Knack et la vivacité (parfois un peu brouillonne) d'un inFamous Second Son dopé aux boissons énergisantes, c'est vraiment à travers cette nouvelle machine que le géant japonais semble désireux d'aller au bout de l'union tant espérée entre jeu vidéo et cinéma. La PS3 n'aura servi que de banc d'essai, expérience concluante puisqu'achevée avec "TLoU" justement, porteur de tous les espoirs du concepteur-éditeur à ce niveau. C'est ainsi que naîtra The Order, sublime, au dynamisme relatif pour ne pas dire mou, et se voulant plus cinématique que jamais, et qu'un plus tard Uncharted réduira son rythme en accentuant la portée de sa narration, prenant le pas de l'indiscutable modèle, bien aidé en cela par un game designer similaire aux commandes en la personne de Neil Druckmann. Et c'est surtout sous cette forme que renaîtra God of War, à travers une présentation épique à l'E3 2016, et chez qui tant verront l'influence immédiate de The Last of Us alors que rien n'y pré-disposait un titre communénement admis comme beat'em all et loin de tels canons. L'esthétique des payages d'Horizon Zero Dawn et sa nature "post-post-apocalyptique", couplée au maniement tout en souplesse, "fluide mais pas trop", de son héroïne Aloy, y renverra forcément, et il sera tout aussi difficile de ne pas tenter de comparaison face aux premières séquences de gameplay saisissantes de beauté et de maîtrise de Ghost of Tsushima.
Cependant, si l'influence de The Last of Us auprès de l'écosystème PlayStation est absolument idéniable, reste néanmoins à constater sur le long terme l'impact qu'il pourrait avoir sur l'industrie entière du jeu vidéo, ce qui demeure une toute autre problématique. Véritable ode au jeu solo en dépit d'un mode online apprécié (et qui devrait normalement être de nouveau de la partie dans le deuxième volet), l'exclusivité testament de la PS3 referme d'une bien drôle de manière une époque ayant enfin largement popularisé le jeu en réseau sur consoles, au point d'en intégrer à des licences que l'on imaginait pas du tout faites pour ça initialement (Tomb Raider ou Max Payne notamment), ou même de faire évoluer les nouvelles franchises nées durant cette génération en tant qu'aventures solo, mais vite dotées d'une partie multijoueur à distance (Uncharted ou Assassin's Creed, pour citer les plus célèbres). On a pu constater récemment un étonnant retour aux jeux d'action-aventure dépourvus de toute dimension en ligne, véritable pari d'éditeurs estimant arriver à rentabiliser leurs productions à la simple faveur du jeu de base… et de l'histoire qu'il raconte, du monde créé derrière, ou du personnage emblématique incarné. En ayant intégré la narration au jeu via un tel tour de force, "TLoU" a relancé à sa façon le jeu solo et il ne serait vraiment pas surprenant qu'il ait sa part de responsabilité derrière ce revival d'aventures résolument pensées pour un seul joueur (ou alors deux se partageant l'aventure en se passant la manette de chapitre en chapitre sur un même canapé, comme j'ai pu l'expérimenter notamment sur ce remaster avec mon ami MajestykRay, que je remercie par ailleurs une fois de plus pour sa coopération). The Last of Us insiste d'ailleurs sur cette thématique de solitude en prenant d'ailleurs à contre-pied les codes musicaux de plus en plus ennuyeux de l'industrie, loin des grandes compositions orchestrales aussi pompeuses qu'oubliables, à travers une BO signée d'un seul homme ou presque, en très grande partie acoustique, et qui témoigne une fois de plus de cette volonté de se démarquer de tant de triples A.
Générique en apparence, celui qui eut l'audace de sortir un lendemain d'E3 défie en vérité beaucoup plus de conventions qu'il n'en a l'air. Au-delà du travail musical majestueux de Gustavo Santaollala, dont les cordes jusqu'ici peu courantes dans le jeu vidéo préfigurent quelque peu la couleur musicale très appréciée de l'univers Life Is Strange, et d'un sound design immersif et irréprochable, le jeu de Naughty Dog marque les esprits en offrant la plupart du temps bien plus que ce qu'on attendait et imaginait de lui – un constat que j'imaginais être personnel de prime abord, avant de voir que je le partageais avec finalement pas mal d'autres joueurs. "TLoU" arrive à surprendre et à séduire sur la durée, notamment à la grâce de son irrésistible crescendo émotionnel couplé à sa progression de gameplay efficace, au point d'être de ces jeux que l'on achève en ayant beaucoup de mal à passer à autre chose. La marque des plus grands certes, et donc de ceux qui déposent une empreinte un peu plus profonde, voire indélébile, dans des sentiers pavés par beaucoup de semblables avant eux, sans pour autant marquer autant les esprits. En livrant une prestation technique incroyable qui fait encore mouche aujourd'hui (même si, en forçant beaucoup sur le jeu, on lui découvre de vilains bugs/scripts bien de son époque, et qui passent beaucoup moins de nos jours…), portée par une des plus belles histoires que la sphère vidéoludique nous ait offertes (et non "une des plus originales"), The Last of Us se montre unique et surtout différent de chaque titre auquel il pourrait être comparé. L'une des illustrations les plus frappantes de sa singularité, que j'avais également notée dans mon article de 2013, réside dans cette direction artistique déjà mentionnée en amont, aux couleurs riches et chatoyantes. Jeu adulte et sombre, "TLoU" avait toutes les raisons de constituer un autre jeu d'action aux tons grisâtres/sépia/verdâtre sans trop d'âme comme la fameuse "génération PS360" en connut plus que de raison. Les teintes au contraste et à la saturation presque trop élevées, dans un contexte si photoréaliste, lui confèrent non seulement un cachet supplémentaire, mais là aussi, ne se verront pas sans lendemain. Il est par exemple frappant de constater le surprenant kaléidoscope constant que propose le dernier God of War, qui aurait bien pu être terne lui aussi, pour refléter la maturité et la violence du propos. The Last of Us n'a pas une influence uniquement narrative sur ses successeurs, il a aussi tracé de nouvelles voies artistiques à suivre, ce qui se comprend on ne peut mieux quand on a la chance de jouir d'une telle beauté. Et d'une manière générale, quand on excelle dans quasiment tous les domaines, il devient logique de s'imposer comme source d'inspiration pour les générations futures.
Le jeu vidéo orienté action/aventure à la troisième personne, exclusivement en solo et à défilement plus ou moins linéaire, sans exploration complexe ni cheminements divers, existe depuis trois décennies entières et peut donner l'impression d'une solution de facilité, même si on l'enrobe d'une direction artistique élégante et efficace voire d'une histoire prenante. Partant de ce postulat, The Last of Us n'était pas forcément supposé devenir le jeu d'une génération, recevoir l'éloge de la presse spécialisée et des joueurs, et encore moins imposer sa patte au sein d'une industrie de plus en plus exigeante et ayant tant de mal à se renouveler, surtout lorsqu'elle rétribue si mal l'audace et l'ingéniosité. Cependant, en plus de rendre une copie quasi parfaite d'un point de vue technique pour son époque, Naughty Dog trouve le moyen de transcender un gameplay somme toute très classique – bien que maîtrisé, mais juste assez avare en coups de génie – par le biais d'une narration extrêmement brillante et forte, intégrée comme jamais à la jouabilité au point de dépasser largement les standards fixés par les aventures interactives ayant la prétention de rivaliser avec le cinéma. Celui que l'on a pris l'habitude de surnommer "TLoU" a surpris son monde en fin de vie d'une génération de consoles HD dont il demeure non seulement un porte-étendard très peu discutable, mais n'a surtout jamais vraiment déçu au gré des relectures, que ce soit au travers d'un contenu additionnel parfaitement délicieux à vivre et revivre, ou d'une surprenante replay value témoignant de sa capacité à survivre aux affres du temps. Cinq ans après, The Last of Us demeure une sacrée belle prouesse dans une sphère impitoyable où l'on oublie très vite nos idoles d'une semaine ou d'un mois ; de fait, même s'il aurait clairement pu se suffire à lui-même avec un épilogue franchement idéal, on ne peut qu'attendre fébrilement la suite des événements. Gageons qu'à défaut de nous surprendre de nouveau, les "Dogs" sauront rendre hommage à la qualité d'une licence d'exception dont il serait bien trop triste d'entacher une réputation si élevée, et j'y tiens, si amplement méritée.
J'ai adoré / aimé :
+ Une incroyable claque visuelle et artistique, encore très agréable aujourd'hui
+ L'identité de la direction artistique, là aussi étonnamment "influente"
+ Une jolie variété d'univers, de paysages et d'ambiances
+ Le remaster, encore plus beau, au 60fps facultatif (ouf !)
+ La bande son toujours aussi exceptionnelle (ET originale) de bout en bout
+ Doublages et acting de grande qualité, même du côté des seconds rôles
+ Ellie, bien plus qu'un PNJ ou une alliée, une véritable prouesse en tous points
+ L'histoire, de bout en bout, au rythme quasi parfait, sans réels accrocs
+ Script d'une densité parfaitement bien dosée, qui favorise le non-dit
+ Le rythme et la variation dans l'intensité, très cinématographiques pour le coup
+ Le début est grandiose, mais que dire de la fin, absolument parfaite de maîtrise
+ L'opposition permanente entre grande violence et incroyable légèreté
+ Une vraie réflexion sur une humanité en pleine survie, livrée à elle-même
+ Bien plus mûr et abouti que les Uncharted dont il est une belle amélioration
+ Une étonnante rejouabilité pour un jeu de ce genre
+ Le mode écoute est un bon concept, même s'il est plus jouissif de s'en passer
+ Toujours très agréable à jouer, même si pas spécialement original ou novateur…
+ … et malgré tout un des tous meilleurs "TPS" / survival disponibles sur le marché
+ Les infectés sont cohérents et bien flippants comme il faut
+ Left Behind est un excellent contenu additionnel, touchant et pertinent
+ Le concept du mode "Réaliste", impitoyable et pour les dur(e)s, vraiment
+ Une expérience de jeu solo ultime… qui peut vraiment se vivre à deux
+ Un mode en ligne qui ne fait pas tache et que Naughty Dog "n'impose" pas trop
J'ai détesté / pas aimé :
– Le début du jeu, même après tant de parties, reste d'une grande mollesse
– Gros manque de crédibilité des doublages lorsque les personnages sont à distance
– L'IA régulièrement prise à défaut, ce que le mode "Réaliste" met terriblement en avant
– Des bugs de collision et scripts très "époque PS360" qui gênent un peu plus sur PS4