"God of War". Rien que ce nom, aussi court qu'efficace, suffit à évoquer une puissance brute, celle d'un barbarisme inouï et sans détours, qui n'a pour seule poésie que celle de son environnement, historiquement modélisé avec élégance et brio par le studio peut-être le plus capable de repousser une console PlayStation dans ses derniers retranchements : Santa Monica Studio, filiale directe de Sony Interactive Entertainment. Plus encore que Naughty Dog, aucune équipe de développement de jeux vidéo n'est davantage liée au géant de l'audiovisuel que les créateurs de Kratos, général spartiate reconverti en dieu tout-puissant doté d'une rage sans bornes. Si les Californiens nous ont habitué(e)s à distribuer claque sur claque aux joueurs à chacune de leurs publications – à l'image de leur héros face aux innombrables créatures mythologiques qu'il remet dans le droit chemin sans faire de sentiments – jusqu'à un God of War III aux allures d'apothéose au sommet de l'Olympe en 2010, le mal-nommé Ascension (2013) fut le premier volet à remettre en question l'aura divine de la saga. Alors qu'on ne s'y attendait pas vraiment, celle-ci fut déchue en quelques semaines à peine de son statut de représentante majeure de l'écosystème PlayStation par un certain The Last of Us ayant tout bouleversé et remis en question, de par sa maîtrise impressionnante d'un équilibre rarement atteint entre violence absolue et lyrisme déconcertant. Trois ans plus tard et sans qu'on l'ait vu venir, God of War renaissait de ses cendres en plein E3 à travers une présentation déjà mythique donnant l'impression d'avoir appris de celui qui osa le détrôner. Pour mieux ressusciter et reprendre le flambeau ?
Note sur les conditions de jeu :
Si mon tout premier contact avec le jeu de Santa Monica Studio s'est fait sur une version commerciale et (surtout) sur une PlayStation 4 Slim peu après sa sortie, pour me faire une première appréciation du titre, c'est sur la version disque du press kit français de ma collection que j'ai joué à God of War en intégralité, le terminant pratiquement à 100% après quelques dizaines d'heures (disons entre 40 et 50, à la louche). Mais surtout, il s'agit du premier triple A vraiment pensé pour ces conditions de jeu que j'ai expérimenté sur mon tout nouveau combo PS4 Pro (la fameuse "500 Million" !) / TV 4K OLED avec HDR et mode "graphismes" activés, évidemment. Oui, j'avais envie que les baffes administrées par Kratos soient les plus violentes possible.
This Is Not Sparta
Le retour du plus célèbre des guerriers spartiates du jeu vidéo s'est fait attendre. Si un remaster aussi évident que déjà lassant de God of War III sur PlayStation 4 pointait le bout de son nez courant 2015, aucun des deux premiers E3 de Sony 100% dédiés à leur nouvelle console ne mit en scène Kratos, se faisant alors méchamment désirer. Rien non plus du côté PlayStation Experience, et pas davantage d'annonces lors des autres salons importants pour l'éditeur – la gamescom et le Tokyo Game Show bien sûr, mais également la Paris Games Week devenue une étape de plus grande envergure et théâtre de présentations importantes pour la firme. Figure emblématique de la marque sur les deux générations écoulées, et portant une licence gage de prouesse technique d'ensemble, le "dieu de la guerre" manque cruellement à l'appel sur une machine en quête d'une figure iconique en cette troisième année d'existence. A-t-il été sacrifié sur l'autel du renouvellement, tel Nathan Drake s'apprêtant à rendre les armes dans Uncharted 4: A Thief's End alors que Guerrilla Games s'apprête à dégainer Horizon Zero Dawn et son héroïne Aloy, potentielle égérie d'une PlayStation 4 qui s'en cherche encore une ? Lors de l'édition 2016 du célèbre salon américain, l'introduction de la conférence Sony livra des éléments de réponse aux allures de nouveau départ. Une prestation majestueuse et grandiloquente d'un orchestre mené par Bear McCreary, connu davantage pour son travail derrière les séries Battlestar Galactica ou The Walking Dead que les bandes originales "mineures" enregistrées sous sa direction dans le milieu du jeu vidéo, laisse entrevoir quelque chose d'impressionnant à venir – en même temps, c'est un peu le but ! Derrière la gravité des ténors constituant le chœur, on commence à espérer que les rumeurs persistantes d'un retour de God of War trouvent ici leur conclusion, et il ne faut pas une minute pour que le trailer qui suit nous révèle que l'atmosphère très spartiate dessinée par l'orchestre a bien pour but de remettre Kratos sur le devant de la scène. Sauf que pour le coup, de spartiate il n'y a plus que l'attitude brute d'un héros toujours aussi musclé, et cette fois massivement barbu, vu que l'on est plongé illico dans une forêt en proie à la rigueur hivernale. Et plus surprenant encore, le dieu grec le plus célèbre du jeu vidéo, clairement marqué par le temps, est cette fois accompagné, qui plus est d'un enfant que l'on imagine fort logiquement être son fils.
Un PNJ compagnon en bas âge dans une forêt à demi enneigée à qui l'on va enseigner l'utilisation de l'arc pour abattre un innocent cervidé, dites-vous ? Le tout dans ce que les premières secondes de gameplay laissent interpréter comme un couloir aussi linéaire que divin dans sa modélisation ? Et pour en rajouter une couche, avec une caméra rapprochée au point de ne plus voir ses pieds, et décalant le personnage sur le coté pour mieux se rapprocher de son angle de vue et mettre en avant des décors faisant la part belle à une nature aussi poétique que probablement dangereuse ? The Last of Us est passé par là, on le sait et on l'a vu récemment avec Uncharted 4, mais cela n'avait rien de surprenant du fait de créations provenant du même studio (Naughty Dog) ; cette fois, avec ce que l'on a compris être un nouvel épisode de "GoW" mais dont on ne connaît pas encore le titre, l'influence de celui que tant considèrent comme "le jeu d'une génération" dépasse les limites de ses propres développeurs et témoigne d'une sorte de nouveau mètre étalon du gameplay triple A chez Sony. De quoi s'inquiéter un petit peu quand même, car si la saga conçue par David Jaffe est historiquement plutôt scriptée en terme de déplacements et blindée de quick time events (QTE), on a initialement un peu de mal à concevoir comment la jouabilité "beat'em all" de la série pourra se marier avec une réalisation aussi cinématographique, davantage pensée pour les jeux d'action-aventure alternant phases de tir et exploration, quand on ne les taxe pas (parfois à raison) de "simulateurs de marche". Kratos étant supposé incarner une rage sans bornes et dévastant tout sur son passage, doit-on imaginer que sa nouvelle paternité l'a assagi, et qu'il porte désormais les stigmates de l'âge derrière cette barbe fournie dissimulant sans doute bien des secrets ? On l'avait après tout quitté dans la chaleur d'une Olympe brûlante et on ne s'attendait pas forcément à des retrouvailles aussi froides, et de toute évidence loin de sa patrie d'origine. Non parce que bon, le jour où vous trouvez en Grèce des forêts aussi denses mélangeant boue et glace au sol, et surtout encerclées de chaînes de montagnes enneigées, vous me ferez signe.
Après un combat impressionnant contre un troll massif laissant de plus en plus supposer que l'on se rapproche de la mythologie nordique, et que cet épisode fait déjà penser à The Elder Scrolls V: Skyrim dans l'environnement global arpenté, la présentation de près de neuf minutes s'achève sur un fondu suivi du titre sans équivoque de God of War, sans aucun sous-titre. Étrangement, on n'a aucunement affaire à un quelconque reboot ici en dépit de ce qu'une telle appellation pourrait laisser supposer, mais bel et bien d'une suite, de longues années après God of War III, introduisant en quelque sorte un nouveau départ pour la licence. Hors de question de parler de nouvel arc narratif ou de réécriture de la série : Cory Barlog, nouveau directeur créatif, est par ailleurs un vétéran du studio ayant participé à la conception de la divine trilogie ayant porté Kratos au firmament de l'Olympe. Non, il est surtout temps de voir autre chose, suivant une certaine logique scénaristique conduisant notre dieu tout-puissant à l'exil, loin de sa terre natale. Mais surtout, il est temps de proposer autre chose en terme de jouabilité et de réalisation d'ensemble. Le nouveau "GoW" conservera les bases d'un gameplay porté sur une action nerveuse et des combats directs, sans la moindre notion d'infiltration (un "canon" contemporain auquel on échappera donc, ce qui laisse augurer d'une certaine identité malgré les influences modernes évidentes), mais il faudra s'y faire : il s'agira cette fois-ci d'un jeu clairement étiquetable sous le label fourre-tout "action-aventure" mâtiné d'éléments RPG tout aussi clichés dans la personnalisation et l'évolution du héros. Pour ce faire, finis les plans fixes, place enfin à une caméra libre comme l'air, permettant d'appréhender au mieux l'élégance de décors terriblement soignés par un des studios les plus talentueux dans ce domaine. Mais surtout, et nous ne l'avions pas vu venir malgré une démo de gameplay d'un seul et unique bloc sans l'ombre d'une cinématique dissociée, le jeu et les cut-scenes se fondent dans un seul et unique plan-séquence sans temps de chargement ni fondu – sans doute pensions-nous, par naïveté inversée, qu'il s'agissait d'une démo technique censée nous en mettre plein la vue et qu'on ne nous la ferait pas. On est alors encore loin d'imaginer que God of War, même s'il est évident qu'il a plus d'un tour dans son sac, va se fixer un défi d'apparence insurmontable : un jeu d'action-aventure à grand spectacle en un seul et unique plan de bout en bout, pour marquer son temps et le début d'une nouvelle ère.
Guts N' Roses
Le projet global de ce God of War nouveau pourrait se résumer en une volonté de révolutionner la forme dans ses grandes largeurs, sans trop toucher au fond – ou tout du moins, juste à sa propre échelle. Comprenez par là que derrière l'ambition démesurée, à l'image de sa mise en scène, consistant à accoucher d'une nouvelle référence en terme de réalisation, le titre de Santa Monica Studio ne cherche pas à offrir une expérience de jeu résolument novatrice dans l'industrie. Il va par contre chercher à s'offrir une nouvelle identité pour se démarquer d'une trilogie mythique, mais hélas écornée par un étrange accident de parcours indigne de son rang : le correct mais oubliable God of War: Ascension. Ce dernier avait pourtant tenté de se démarquer de la routine instaurée par une série de beat'em all à succès, pas même entachée par deux opus nomades sur PlayStation Portable (Chains of Olympus et Ghost of Sparta, tous deux très bien accueillis), en introduisant une composante multijoueur inédite et tout à fait dans la tendance du moment. Le reboot des aventures de Lara Croft, le fameux Tomb Raider lui aussi vierge de tout sous-titre, s'y était essayé quelques semaines avant à titre de première dans une série résolument pensée pour le solo, pour ne plus y revenir par la suite sans que son mode online ait pour autant subi la foudre des critiques. "GoW Ascension", lui par contre, avait reçu un accueil plutôt mitigé, fustigeant notamment ce fameux jeu en ligne assez convenu et très dispensable, ne redorant pas le blason d'une préquelle déjà tout juste correcte, mais clairement inférieure à la divine trinité étalée en cinq ans sur consoles de salon. Suite à ce relatif échec, le célèbre fantôme de Sparte a alors disparu des radars, se contentant d'un remaster facile mais efficace de son aventure la plus à même de finir sur une PS4 en manque de grosse licence maison au début de sa carrière. Pendant ce temps, Sony Santa Monica préparait alors le retour de son colosse terré dans l'ombre, pour lui offrir une deuxième vie faisant table rase du passé, des acquis, et remettant tout à plat ou presque. Sauf que refusant de céder à la facilité du bon vieux reboot, le studio préférait poursuivre l'histoire de Kratos, au prix d'une longue ellipse de temps et d'un dépaysement absolu, histoire d'aller de paire avec toute une conception tranchant à peu près autant avec le passé que la hache du héros découpe les arbres centenaires dès les premières secondes du jeu.
Même si on le savait, et que ce n'était pas faute de nous prévenir, l'introduction de God of War est totalement là pour perdre le joueur forgé au maniement habituel de Kratos, aux angles de caméra de la série, et à l'atmosphère bien connue de ses fans. Le fameux plan-séquence tant vendu par Sony débute dès l'écran-titre, fixé sur un arbre que notre gros bûcheron barbu va abattre à coups de hache (et de QTE) dans un accès de rage mêlé d'une surprenante mélancolie : les chœurs virils et rugueux laissent alors place à la grâce d'une harpe mélodieuse, pendant que les bandages recouvrant les bras du titan s'effilochent avant qu'il ne les replace avec une délicatesse qu'on ne lui soupçonnait pas. En sautant ensuite dans une embarcation à laquelle il attache l'arbre, en compagnie de celui que l'on devine immédiatement être son fils, Kratos nous emmène alors dans un voyage que l'on devine d'ores et déjà fantastique. Atreus – c'est le nom de son rejeton, que l'on jurerait fruit d'une union secrète avec Aloy de Horizon, de par sa maîtrise de l'arc et sa rousseur clairement pas héritée du paternel – vous fait part de son anxiété quant au comportement de l'environnement autour d'eux ces derniers temps, pendant que vous voguez en direction d'un petit quai à quelques centaines de mètres de là dans cette mystérieuse forêt. Pendant ce temps, un générique d'introduction discret affiche successivement les noms des principaux artisans de cette nouvelle création, de Cory Barlog à Bear McCreary en passant par les doubleurs, Christopher Judge en tête, et on se prend à guetter le moindre faux pas de conception de ce plan démesurément long qui s'étire sans heurts du moment qu'on ne s'aventure pas dans le menu du jeu. Il en résulte une première heure de jeu franchement palpitante et intense, bien que paraissant un peu molle du fait d'une caméra proche du personnage et dont le rythme de marche s'accomode à une lourdeur que l'on prend honnêtement plaisir à ressentir. Si l'on est davantage dans l'exploration assez linéaire au début, la promesse d'environnements semi-ouverts faite par une surprenante map et la présence de collectibles intriguent cependant encore un peu plus quant à celle du plan-séquence.
On attend ainsi au tournant le premier affrontement contre un boss, car même si cela est plutôt inhabituel dans la série, on s'accomode immédiatement à la caméra libre lors du tout premier combat face à une horde d'ennemis – les Draugar – mais la performance technique commencera à prendre tout son sens si une bagarre titanesque opposant Kratos à une créature mythologique géante se dispute sans l'ombre d'un changement de plan, d'un quelconque fondu lors de la victoire, ou bien entendu d'un vulgaire champ-contrechamp. Le pari est alors réussi : peu après une première créature aussi fantastique que puissante où le soutien d'Atreus entre en jeu avec une étonnante efficacité, et où le travail de caméra épate, c'est à un premier boss déjà surprenant auquel on a affaire, et que God of War va sublimer dans des proportions inattendues. Bien sûr, le fight bénéficie d'une mise en scène impressionnante, violente et sans aucune concession, mais surtout, celle-ci transcende le défi technique que s'impose Santa Monica Studio et achève de nous convaincre que l'on va expérimenter une aventure hors du commun, au moins sur le plan de la réalisation. J'avais pourtant peine à y croire avant d'y jouer, persuadé que la production laisserait en chemin quelques petites fausses notes difficiles à corriger, mais force est de constater qu'après un périple estimé à une trentaine d'heures, jamais la caméra unique ne va se reposer, usant de quelques artifices malins lors des voyages rapides pour maintenir constamment le joueur en compagnie de Kratos. Si on peut noter un semblant de triche à un ou deux moments, la performance globale est parfaitement irréelle, mélangeant cinématiques et gameplay en une unité d'ensemble saisissante jamais vue jusqu'ici, dans laquelle on se fond avec plaisir bien qu'on tente régulièrement d'en épier la moindre faille… en vain. Pour ne rien gâcher, le framerate de 30fps minimum (verrouillé sur PS4 de base ainsi que sur PS4 Pro lorsque l'on opte pour le mode "graphismes" en 4K checkerboard) tient impeccablement de bout en bout malgré le grand dynamisme des animations et la richesse des environnements à afficher – une autre des forces vives du titre sur lesquelles je ne tarderai pas à revenir. À noter que sur PS4 Pro, le mode "performance" permet de s'offrir un bon gros 60fps rarement pris à défaut, et qui tabasse bien comme il faut sur ce genre de titre… lors des combats essentiellement. Le reste des séquences, pensé davantage dans un souci de mise en scène cinématographique, passe toujours assez mal avec ce trop-plein de fluidité, et il est plutôt recommandé d'opter pour la plus haute qualité d'image si vous disposez d'un écran adapté.
La qualité d'image, parlons-en : les God of War ont toujours été sublimes, et c'est peu de le dire. Seulement voilà, les limitations de leurs angles de caméra et leur aspect finalement très scripté, cherchant à favoriser les prouesses de réalisation, ne pouvaient que faire d'eux des références graphiques, pas en reste en terme d'animation, mais fatalement plus creuses en terme de gameplay. Si le nouvel épisode des aventures de Kratos a toujours pour but d'en mettre plein la vue, son choix d'environnement semi-ouvert, couplé donc à un plan-séquence aussi audacieux que risqué, aurait légitimement pu remettre (un peu) en cause la finition d'ensemble. Sauf que Sony Santa Monica n'est pas du genre à faire dans la concession. Nulle part. Il en résulte un titre divinement beau, non seulement porté par un photoréalisme déconcertant, mais surtout une touche visuelle hors du commun que la technologie High Dynamic Range (HDR) va faire exploser de mille feux. On pense bien sûr, fatalement, aux couleurs éclatantes et incroyablement vives de cette forêt aux feuilles rouge écarlate et aux herbes "poil de carotte", vitrine technologique parfaite pour l'expérience HDR, un style que Horizon Zero Dawn avait déjà cherché à bien mettre en vue un an auparavant, et dont le très attendu Ghost of Tsushima nous fait d'ores et déjà rêver depuis sa dernière bande-annonce publiée il y a six mois, à l'E3 2019. Pourtant, "GoW" ce n'est pas qu'une forêt automnale étonnante faisant la part belle au surnaturel, loin de là ; si le titre chapeauté par Cory Barlog veut nous transporter dans un environnement fantastique et délibérément haut en couleurs, les environnements proposés s'avèrent d'un réalisme aussi déconcertant que leur netteté et leur précision – et ce en 1080p comme en 4K. C'est un fait : les limites atteintes deux ans avant par Uncharted 4: A Thief's End, légèrement repoussées l'année suivante par The Lost Legacy, son excellent stand-alone, avaient été remises en question par la qualité néanmoins inégale des graphismes de Horizon, aventure là aussi empreinte de fantaisie et désireuse de s'offrir une direction artistique bien à elle. N'ayons pas peur des mots : d'un coup de force dont son héros a le secret, God of War empoigne les deux précédents triples A majeurs de Sony, les fracasse l'un contre l'autre et en tire le meilleur pour livrer un résultat d'une beauté inouïe les dépassant allègrement sans que l'ombre d'un débat ne soit envisageable.
Comment lui donner Thor ?
Aussi magnifique God of War puisse-t-il être, et aussi titanesque sa réalisation aussi poétique que violente soit-elle, c'est bien connu, un si joli enrobage n'aura d'intérêt que si l'aventure vaut le coup d'être vécue. Si je m'efforcerai de ne pas spoiler la nature des lieux magiques visités à travers cette surprenante expérience, c'est en partie parce que la façon dont Kratos se tape l'incruste à Midgard et dans les autres royaumes nordiques de légende (Alfheim, Nilheim et j'en passe et des meilleurs) est tout sauf inappropriée. Le dépaysement immédiat connu en début d'aventure, même s'il rappelle les bonnes habitudes de la forêt devenue cliché au possible chez les triples A de Sony, n'est pourtant rien à côté de ce que notre guerrier et son fils découvriront durant les heures qui suivront. Et pour cause : on va naviguer (c'est le cas de le dire) à travers Midgard en tant que hub principal faisant office de grande zone ouverte centrale puis se déplacer de royaume en royaume, l'occasion d'aller de surprise en surprise en plus de crapahuter à travers un environnement au level design convaincant et, plus étonnant encore, cohérent dans son genre. Si on pourra à la rigueur critiquer (un peu) le fast travel usant là encore d'un subterfuge pour le moins gonflé pour nous faire oublier l'évident temps de chargement pour le coup bien masqué, le déplacement d'une zone à une autre, et même au sein de n'importe laquelle d'entre elle, est fluide, instinctif, et la lourdeur initiale de Kratos finit par ne plus déranger du tout. En vérité, il n'y a que lorsqu'il se déplace au pas le plus basique qui soit – et lors des séquences plus scriptées – qu'un sentiment de lenteur peut vaguement nous envahir. Le reste du temps, se mouvoir dans le monde fantastique de ce nouveau God of War est un vrai plaisir, bien aidé en cela par une maniabilité exemplaire qui ne frustre jamais… le cloisonnement d'ensemble jouant pas mal. Tout le paradoxe de ce semi open world se situe en effet dans les balises un peu incohérentes par moments fixées par les développeurs, empêchant notamment Kratos de tomber de n'importe quel rebord (on ne parle même pas d'un rattrapage automatisé en s'accrochant en cas de chute !), ce qui peut contribuer à une sensation parfois dérangeante de privation de liberté. Après tout, c'était à prévoir dès que l'on a su, au grand dam des vieux de la vieille, que l'on ne pourrait tout simplement pas faire sauter manuellement (!) l'un des héros les plus puissants de l'histoire du jeu vidéo.
Il y a quelque chose de presque philosophique derrière le questionnement que suscite légitimement cette absence de touche de saut, a fortiori dans un nouvel épisode d'une série dont le protagoniste pouvait historiquement bondir via un bouton dédié du pad. Priver le personnage jouable de saut annihile-t-il le sentiment de liberté d'action de celui-ci ? Mieux encore, déposséder le tout-puissant Kratos de la possibilité de sauter à volonté nuit-il à sa jouabilité et réduit-il le plaisir de le diriger ? En "automatisant" à moitié les bonds d'un bord de précipice à un autre via un QTE (qu'il est par ailleurs assez idiot de placer sur la touche "rond" et pas la "croix" historiquement associée à cette action dans tant de jeux vidéo !), on hésite entre le soulagement de voir que le "dieu de la guerre" n'est pas complètement impotent, et la frustration de ne pas pouvoir se le permettre soi-même à volonté. Cependant, il n'est pas dit que maîtriser les sauts de Kratos aurait été plus jouissif, tant le reste de sa palette de mouvements et d'actions remplit bien ce rôle. J'y reviendrai un peu plus bas en évoquant les combats, puisque dans un premier temps, il était question d'analyser la composition du monde semi-ouvert, aux limitations donc quelque peu aléatoires et mal définies. En-dehors de ce point heureusement assez rarement irritant, une des très bonnes surprises de "GoW" se situe dans sa construction presque "Metroidvania", puisque remplie de lieux accessibles uniquement à partir de l'acquisition d'un pouvoir et/ou d'une arme bien spécifique permettant de progresser dans l'exploration. Une structure qui, dans un environnement en trois dimensions, a été exploitée et usée jusqu'à la corde par la trilogie Tomb Raider au point de sombrer dans une caricature d'elle-même, mais que God of War maîtrise étonnamment bien. Vous l'aurez compris à travers mon analyse de Shadow of the Tomb Raider, sorti même pas 6 mois après : proposer de grandes zones ouvertes interconnectées et remplies de collectibles en tous genres, certains n'étant accessibles qu'à partir de l'obtention d'un certain équipement, ça ne marche que quand c'est intelligemment conçu. Et pour sa grande première dans ce domaine, Sony Santa Monica transforme parfaitement l'essai. Mieux encore, la quantité de défis annexes proposés en marge de l'histoire principale – et surtout une fois cette dernière terminée – occupera de nombreuses heures supplémentaires, offrant un challenge bien plus intéressant que de refaire des séquences spécifiques en mode chronométré ou une quelconque forme de scoring – qui aurait quand même pu trouver sa place dans ce type de titre, de par sa dimension "BTA" ; il est presque dommage que toute forme de combos comptabilisés soit absente, finalement.
En choisissant de faire du nouveau "GoW" autre chose qu'un beat'em all aussi bête et méchant que sublime et envoûtant, les concepteurs de ce qui reste l'IP "adulte" majeure de Sony aux côtés d'Uncharted ont en fait absolument tout compris. S'il ne révolutionne pas le concept de jeu d'action-aventure à tendance RPG, et qu'on pourrait même dire qu'il se contente d'appliquer avec soin la recette contemporaine qui marche (coucou l'arbre de compétences et les améliorations d'armes ou d'éléments de tenue), il est stupéfiant de voir à quel point tout ceci sied parfaitement à God of War, dont on se dit qu'il a même gagné à évoluer de la sorte. En reprenant les bases fonctionnelles du jeu d'action-aventure/RPG moderne pour les appliquer à un personnage comme Kratos, Santa Monica Studios donne un coup de fouet salvateur à une série qui avait besoin de se réinventer. Ceci quitte à en faire un peu trop : les menus, s'ils sont clairs et ergonomiques, sont complexes et nous noient sous un trop-plein d'informations, notamment au niveau des capacités et améliorations en tous genres, d'une quantité surréaliste face à l'équipement – pour le coup réduit à la portion congrue – dont dispose notre héros pour faire régner la loi à Midgard. Alors certes, il y aura beaucoup de pièces d'équipement à acheter, mais les ressources monétaires ne manquent pas, au point d'atteindre une quantité ridicule si on n'achète pas absolument tout ! On pourra également déplorer l'absence totale d'une quelconque forme de renseignement au sujet du loot en tous genres, là aussi très varié, mais dont on ignore totalement quelles sont les zones de drop à privilégier, ou le type d'ennemis à occire. Ces derniers constituent par ailleurs un bestiaire aussi stylé que limité, qui peine un peu à se renouveler, mais on pardonnera assez aisément cette composante pas vraiment décevante. Puisqu'on est dans les points négatifs, et que ceux-ci ne sont pas légion, finissons-en carrément en évoquant cette map aussi jolie que peu lisible. Là aussi une première dans la série, la carte du monde à explorer n'est pas d'un grand secours quand il s'agit de disposer des balises, qui se perdent un peu dans la boussole "horizontale" à la Skyrim heureusement assez efficace. Et… c'est tout. Telle la hache Léviathan que l'on rappelle d'une simple pression sur la touche triangle après l'avoir lancée, God of War ne s'égare jamais vraiment, et ne perd ni son temps en futilités ni en remplissage. Une illustration toute bête à ce niveau : les quêtes annexes sont brillamment amenées, loin du cliché des marqueurs de quête idiots suscitant la curiosité sans récompenser celle, moins assistée, de l'exploration "naturelle" ; d'une quantité raisonnable, elles complètent intelligemment l'histoire tout en restant parfaitement optionnelles, et s'affranchissent assez bien de l'étiquette "FedEx" gangrénant toujours autant de productions de ce type. Mieux encore, certaines puent carrément la classe, comme ces chasses au dragon transfigurant une fois de plus une expérience toute en grandiloquence et sans limite dans les ambitions de son incroyable réalisation.
Symphony of Destruction
Reste que dans tout cela, "GoW" demeure très attendu au tournant sur un élément vital de son gameplay : les combats, bien évidemment. On parle quand même, mine de rien, d'une divinité du beat'em all remise en cause dans son domaine depuis près d'une décennie, notamment par une certaine sorcière à lunettes que l'on aimerait bien voir un jour croiser le fer (façon de parler) avec Kratos. Sans aller jusqu'à prétendre que Bayonetta est passée par là, l'évolution de God of War au niveau de ses affrontements est non seulement un régal pour les yeux (mais ça on s'en doutait), mais aussi un vrai plaisir manette en main, retranscrivant à la perfection toute la hargne du personnage et la violence démesurée de combats sans aucune retenue. Si ce nouvel épisode est clairement très "doux" dans ses décors presque oniriques, et que la présence d'un jeune PNJ allié évidemment candide et moins rompu aux joutes de la baston à une telle échelle, le moindre coup de hache ou de poing de Kratos transcrira une brutalité délicieusement immersive – au point de bien faire travailler votre caisson de basse, si vous avez la chance d'être équipé(e) de la sorte. Incroyablement jouissif dans sa réalisation, avec des finishes justifiant plus que largement la classification PEGI 18 du titre, le système de combat de "GoW" est également parfaitement délicieux dans son exécution, tout simplement. Convenez-en : il aurait en effet été dommage que le titre de Santa Monica Studio soit visuellement ahurissant et doté d'une mise en scène divine, mais que l'intérêt et (surtout) la précision de la jouabilité ne suivent pas. Fort heureusement, en plus d'avoir fait du "nouveau Kratos" un personnage très appréciable à manier, porté par une inertie crédible et immersive, les développeurs de ce nouvel opus ont également fait merveille dans ce qui constitue quand même le cœur de gameplay de leur série : la bagarre. Celle qui donne envie d'accompagner chaque coup porté par le personnage joué de beuglements gutturaux tant le sentiment de puissance est là, magnifié qui plus est par les thèmes symphoniques purement grandioses délivrés par l'orchestre dirigé de main de maître par Bear McCreary.
Manier la hache de Kratos, que l'on peut lancer (et faire revenir vers lui à volonté, tel un boomerang) mais aussi utiliser avec deux niveaux de force correspondant fort logiquement à la masse respective des gâchettes de droite, et ce sans parler des pouvoirs optionnels et temporaires que l'on acquerra au fil de l'histoire, est à la fois un jeu d'enfant et une épreuve d'une redoutable complexité – surtout que même le mode de difficulté de base "Expérience équilibrée" proposera régulièrement une belle dose de challenge. Je ne parle même pas ici des défis quasi insurmontables que présentent les Valkyries tant que l'on a pas déverrouillé au moins les trois quarts des compétences et de l'équipement adapté ; non, God of War veut justifier son statut de jeu vidéo pour adultes, en ne faisant aucune concession visuelle mais aussi dans l'exécution de ses mécaniques de jeu lorsqu'il faut sortir les armes. De très nombreuses possibilités de personnalisation du guerrier légendaire, heureusement disponibles via un menu mettant le jeu en pause (ce que les joueurs les plus aguerris, habitués aux Dark Souls notamment, regretteront sans doute un peu) permettront de l'équiper correctement en fonction des situations, pas immensément variées mais dotées d'une réalisation à la finition toujours exemplaire faisant ressortir l'aspect purement épique de chacune d'entre elles. Et si vous galérez, n'oubliez pas que Kratos n'est pas seul : Atreus est toujours à ses côtés, participe au combat avec son arc (dont vous seul(e) choisissez d'activer les tirs), et joue un rôle aussi primordial que pertinent dans cette configuration. Celui que l'on craignait être un side-kick pénible subissant continuellement une autorité paternelle résolument spartiate (et pour cause) n'est pas juste là pour équilibrer la balance en apportant la douceur légitime de son innocence à cet univers sanguinaire et sans pitié. Vous devrez non seulement gérer sa quantité de flèches (et le type utilisé, puisque de nouvelles attributions se débloquent au fil de l'aventure) pour en faire usage au bon moment, mais également à personnaliser sa propre armure et ses capacités de soutien, élargissant un peu plus le spectre de gameplay d'un titre finalement bien plus riche qu'on ne pouvait le soupçonner… et ce n'est pas tout.
Boy, Boy, Boy
Ne nous en cachons pas : nous sommes sans doute nombreux à avoir appréhendé la présence d'un PNJ compagnon de Kratos, surtout en si bas âge, craignant à la fois la redite grossière de The Last of Us – un sentiment renforcé par l'esthétique des environnements de la présentation de gameplay de l'E3, renvoyant fatalement au désormais célèbre roadtrip du duo Joel/Ellie rendant hommage à une nature moins dévastée que l'humanité. La fragilité assumée d'Atreus, un gamin d'une petite dizaine d'années en apparence, en fait un personnage dont on craint immédiatement la lourdeur aux côtés d'un Kratos qu'il semble assez facilement agacer de par sa voix de gosse et ses actions précipitées et irréfléchies. Le ton de leur relation est donné dès une introduction assez explicite où le père recadre son fils à plusieurs reprises de sa voix incroyablement puissante – le doublage original de Christopher Judge est, pour le coup, extraordinaire – et n'hésite pas à lui faire comprendre qu'il n'est "pas prêt", ou qu'il fait mal les choses. L'occasion notamment de rétorquer cet aussi brutal que magistral "Ne sois pas désolé, sois meilleur" ("Do not be sorry, be better" en VO) lorsque le pauvre gamin s'excuse d'avoir manqué sa cible lors d'un tutoriel inversé, où le joueur dirige celui qui apprend les rouages de la chasse au PNJ accompagnateur. On comprend rapidement, tout au long de la première heure de jeu, que l'éducation spartiate que Kratos a incluquée à son fils constituera le ciment de bon nombre de leurs échanges, ce qui pourra il est vrai dérouter bon nombre de joueurs espérant que la paternité puisse assagir notre géant destructeur. Si quelques instants franchement touchants (et assez peu surjoués, en plus !) viendront montrer que cette brute épaisse a un cœur, l'attitude martiale du daron a tendance à mettre parfois mal à l'aise envers un garçon pétri de bonnes intentions et que l'on sent tout autant investi dans sa mission que son père. La trame de base de God of War est par ailleurs tout à fait satisfaisante car basée sur le deuil de la mère dont il faut porter les cendres au sommet de la plus haute montagne du monde qui entoure les deux hommes de sa vie… mais évitant le raccourci facile d'une séquence mettant sa mort en scène. De façon assez surprenante, l'écriture de cet épisode arrive à contourner tout un tas de poncifs vus et revus et se distingue par une finesse d'ensemble inattendue, surtout tant elle tranche avec une action qui ne fait évidemment pas dans la dentelle. Elle se permet également de bons rebondissements, incluant quelques surprises que je tairai bien évidemment tant elles valent le coup d'être découvertes : oui, le scénario de l'histoire principale est franchement bon, sans génie mais surtout sans faiblesses, et ne se limite pas simplement à nous narrer le long périple d'un père et d'un fils cherchant à honorer la mémoire de la femme qu'ils pleurent.
Au fil de l'aventure, la relation entre Kratos et Atreus évolue à mesure des (rares) rencontres que le duo peut faire, mais qui les oblige à davantage se parler et se confier sur tout un tas de sujets plus introspectifs, dessinant des contours plus détaillés à un scénario dans l'ensemble bien plus intéressant qu'on n'aurait pu l'imaginer. S'il ne propose pas vraiment de réflexions sous-jacentes, ceci en grande partie parce qu'il nous conte une fable extraordinaire cherchant davantage à émerveiller et impressionner qu'autre chose, le nouveau "GoW" raconte une vraie belle aventure de bout en bout, et trouve même le mérite de s'offrir une conclusion habile, relativement imprévisible et franchement réussie qui laisse augurer du meilleur pour l'avenir d'une licence dont le retour est pour le coup magistral. Pourtant, il y avait de quoi se rater dans les grandes largeurs, notamment sur cette relation avec Atreus qui exigeait un certain niveau d'écriture pour se montrer crédible, si possible originale, et éviter les clichés idiots. Certes, tout n'est pas parfait : un peu plus d'humanité de la part de Kratos – dont je ne conteste aucunement la légitimité de l'autorité, attention – aurait été bienvenue par moments, surtout vu le ton que Cory Barlog et son équipe ont tenté de donner à l'ensemble, mais fort heureusement, jamais cela ne sombre dans une quelconque incohérence. Le duo, initialement assez improbable, fonctionne à merveille, notamment parce que l'utilisation que Santa Monica Studio fait d'Atreus pour l'intégrer au gameplay est tout à fait bonne, mais aussi parce que le fils du dieu ne gêne jamais ce dernier dans sa progression et ses affrontements ; mieux que cela, il l'aide, et s'avère précieux une bonne partie du temps, notamment pour traduire tous les caractères runiques ornant coffres, stèles et autres pierres en tous genres à travers les royaumes nordiques légendaires. Il usera également de son insouciance pour tenter de distraire Kratos de temps en temps, ou d'apporter une touche de légèreté à un script qui évite du coup de verser dans une overdose de violence gratuite – ceci d'autant plus que le gamin finit par s'en accomoder, fort logiquement. À noter qu'un autre allié surprenant, dont je tairai l'identité, complètera le tableau à partir d'un certain stade de l'aventure, ouvrant davantage les perspectives de dialogue et enrichissant considérablement les échanges. Ceci sans parler des nains forgerons sans qui il serait bien impossible de venir à bout des innombrables épreuves qu'affronteront nos héros, et qui apportent à leur façon une touche d'humour non négligeable, humanisant très bien l'ensemble.
Sans atteindre des sommets d'écriture pour autant, le scénario de God of War a le mérite d'être plus que correct, assez prenant, et il est vrai emmené par un excellent duo de personnages dont la destinée donne envie de s'y accrocher. Par côtés, le synopsis du jeu résume assez bien sa capacité à ne jamais se montrer faible ou décevant sur les points où on n'attend pas qu'il transfigure l'industrie, se "contentant" de très bien faire les choses, et surtout, de ne pas trop en faire. Alors oui, il y a un peu de caricature dans le comportement brutal de Kratos et sa relation avec Atreus, digne d'un père de famille d'un autre siècle commandant d'une main de fer et se fichant qu'on lui dise "non", mais il serait quelque peu inconvenant de trouver cela gênant ou inadapté : une attitude contraire de sa part, pour le coup, friserait l'incohérence, et annihilerait une bonne partie du sentiment de force et de puissance d'un héros dont on n'attend quand même rien d'autre. On parle de Kratos, quoi, zut ; et en plus, certains aspects de l'histoire le fragilisent suffisamment comme cela pour nous le rendre assez humain et nous en satisfaire. Si l'on veut chercher une alternative au barbarisme ambiant (et plutôt légitime) de ce God of War, c'est dans sa direction artistique qu'on la trouvera bien sûr, car souvent joliment coloré et très vivant, mais aussi dans sa bande originale parfaitement exécutée. Splendide de bout en bout, le travail de composition de Bear McCreary est transcendé par un orchestre au sommet de son art, offrant ici un registre immensément varié collant non seulement on ne peut mieux à l'esprit de la saga (au niveau des chœurs surtout), mais décrivant également à la perfection la nouvelle atmosphère décrite par ce nouvel univers soufflant le chaud et le froid… et pas que dans sa colorisation. En plus d'un thème principal éponyme – celui ayant introduit la conférence PlayStation où le jeu fut présenté – absolument génial, tout simplement, une autre composition plus lyrique reviendra à de nombreuses reprises durant l'histoire, sous différents titres ("Memories of Mother" / "Ashes" / "A Giant's Prayer") et avec des voix, accompagnements et tons alternatifs, à vous en déchirer le cœur et faire verser des larmes devant une telle beauté. À ce niveau, "GoW" parvient à marquer les esprits là où Horizon avait fait bien, mais sans plus, et livrant surtout quelque chose d'aussi joli que tristement oubliable. La marque que laissera la nouvelle épopée de Kratos est d'une toute autre stature.
L'empreinte d'un géant
Arrivé avec l'ambition évidente d'être l'exclusivité PlayStation majeure de 2018, un peu comme le jeu de Guerrilla lors de l'exercice précédent, God of War s'avançait certes un peu sans concurrent interne. Le "nouveau" Shadow of the Colossus ne pouvait jouer un tel rôle de porte-étendard en dépit de son génie artistique, et il n'était pas non plus envisageable de voir un Detroit: Become Human, bien que prometteur (et franchement réussi, comme je vous l'expliquais dans ma critique), endosser cette responsabilité. Le très bon Marvel's Spider-Man aurait alors pu avoir sa carte à jouer, mais quelque chose de très particulier distingue la création de Sony Santa Monica de tous les gros titres ayant marqué l'année. En plus de constituer une aventure mémorable, techniquement exceptionnelle et quasiment irréprochable sur l'ensemble de sa conception, le nouveau God of War représente un pari que l'on ne devrait pas trouver osé, et qui pourtant l'est de nos jours : celui d'un titre 100% solo parfaitement fini dès sa publication. Si cela fait bien quatre ans, depuis Driveclub, que les exclusivités Sony se privent de tout monde multijoueur (Uncharted 4 et Gran Turismo Sport mis à part, en fait) et ne contiennent parfois qu'une vague fonction online sans grosse incidence sur le déroulement de l'histoire (Bloodborne voire Gravity Rush 2), une partie d'entre elles fut incapable de résister aux sirènes du contenu additionnel, peu importe que le succès soit assuré ou non. "GoW", lui, fut clair et net dès le début sur sa vision des choses : il ne proposera tout simplement aucun DLC, et il faudra se contenter de son contenu d'origine – et vu sa qualité, ça tombe bien, cela suffit plus que largement. On en pourra que pester contre la frustration de zones que l'on ne peut même plus taxer de sous-entendues (ce serait un euphémisme bien trop inadapté), que l'aventure nous vend telles d'inaccessibles tentations, et dont on sait en plus qu'elles ne feront l'objet d'aucun contenu supplémentaire. La fin agréablement ouverte et intéressante ne peut que nourrir nos espoirs les plus fous à ce niveau, même s'il faudra redoubler d'efforts du côté de Santa Monica Studio vu que l'effet de surprise sera cette fois passé. Car oui, God of War reste une vraie surprise, tout du moins en ce qui me concerne, presque comme le fut The Last of Us en son temps. Vous savez, ce jeu dont vous ne doutez pas un instant de la qualité avant de vous y mettre, mais que vous n'imaginiez pas être aussi bon…
Par côtés, l'expérience qu'offre le vrai-faux reboot des aventures épiques de Kratos a quelque chose du jeu solo ultime, ce qui avait tendance à de plus en plus manquer sur deux générations "HD" faisant la part belle aux modes multijoueurs, aux DLC, et pire encore, aux micro-transactions et titres 100% connectés (oui, la pilule de Beyond Good & Evil 2 passe toujours mal à ce niveau) ; pourtant, depuis un ou deux ans, une nouvelle "mode" se dessinerait presque, comme s'il était devenu nécessaire de rappeler que le jeu vidéo peut être un plaisir solitaire et que de telles œuvres doivent perdurer. Un pari plutôt gagné quand on voit le succès aussi critique que commercial de The Legend of Zelda: Breath of the Wild, Horizon Zero Dawn, NieR:Automata, et celui des "nouveaux" Assassin's Creed se privant de tout "multi" malgré un éditeur forçant sur cette composante plus que de raison dans toutes ses licences. En allant encore plus loin dans sa vision du jeu totalement solo et ne requérant aucune connexion internet pour en profiter dans sa version définitive (mise à jour pour le très chouette mode photo mise à part), God of War cristallise une tendance dont on espère qu'elle aura suffisamment d'influence pour que ce type d'œuvre soit suivie par un minimum d'autres créateurs. Sans attendre d'eux qu'ils ne livrent une claque mémorable comme ce nouvel épisode qui aura marqué l'année au fer rouge, on peut légitimement espérer que d'autres jeux d'action-aventure/RPG s'inspirent de cette formule élégante, efficace et respectueuse du joueur, une chose qui commençait un peu à manquer à l'industrie. À l'heure où de nombreux débats sur le sujet fleurissent dans la presse spécialisée, au sein des podcasts et autres billets éditoriaux en tous genres, il est de bon ton de voir que le jeu solo n'est absolument pas mort et qu'il dispose de tels représentants pour marquer les esprits dans les grandes largeurs. Chacun a bien entendu sa conception du jeu vidéo, et il est probablement encore mieux de savoir profiter (et apprécier) aussi bien le solo que le multijoueur, mais il serait regrettable que chaque année ne nous offre pas au moins un jeu vidéo, si ce n'est plusieurs, de la trempe du God of War de 2018.
Impressionnant, sublime, bluffant, émouvant, marquant… les superlatifs se bousculent à l'heure de faire le bilan du nouveau God of War bouleversant totalement une licence qui avait peut-être bien besoin de repartir de zéro ou presque. Entre une performance technique éblouissante, d'un plan-séquence mémorable tenu sans anicroche pendant une vingtaine d'heures minimum à une direction artistique fabuleuse faisant exploser tous les standards connus sur console, et une maîtrise quasi parfaite de tout ce qui doit constituer un jeu d'action-aventure 100% solo réussi sur cette probable dernière partie de génération de consoles, le dernier titre de Sony Santa Monica ne fait pas dans le détail. À l'instar de son héros de légende opérant un retour fracassant et dévastant tout sur son passage, "GoW" s'imposait légitimement comme le jeu le plus important du premier semestre 2018 (au moins) et en terme de triples A, il était évident que seul un Red Dead Redemption II pouvait remettre en cause la hiérarchie tout en haut de laquelle s'était installé Kratos, de retour au sommet après une aventure homérique, loin pourtant de l'Olympe qui le consacra au panthéon des jeux vidéo. Pas forcément adapté à tous les publics du fait d'une violence toujours extrême, le God of War de 2018 livre cependant une prestation artistique de très haute volée, assez unique en son genre, et propose une vision plus que satisfaisante d'une formule de jeu d'action-aventure à éléments de jeu de rôle vue et revue, mais extrêmement maîtrisée, portée par une narration très convaincante et une jolie dose de contenus annexes bien intégrés, pertinents et donnant envie de régulièrement y retourner. Après une épopée aussi transcendante, dont aucun regret ou déception ne ressort, on a hâte de voir ce que Santa Monica Studio nous réserve à l'avenir, car l'un des plus grands jeux de la PlayStation 4 (et de sa génération) se trouve bel et bien là. Et on comprend aisément pourquoi tant considèrent qu'il s'agit du plus grand jeu de 2018, une opinion que je rejoindrais bien volontiers s'il ne me semblait pas résolument impossible de comparer le jeu de cow-boys ultime des frères Houser et la renaissance d'un mythe revue par Cory Barlog. Reste qu'au fond du cœur, souvent, défiant la raison ou non, c'est bel et bien la surprise qui parvient à l'emporter…
J'ai adoré / aimé :
+ Bon dieu, mais que c’est beau, tout simplement
+ La HDR est un vrai plus, particulièrement dans certaines zones
+ Zéro temps de chargement à subir une fois le jeu lancé, une prouesse
+ Le défi du plan séquence, proprement ahurissant, surtout que relevé
+ Mise en scène de très haute volée de bout en bout
+ Le sentiment de puissance brute permanent de Kratos
+ Le duo avec Atreus fonctionne très bien
+ L’aspect "Metroidvania" du monde semi-ouvert, bien conçu dans l'ensemble
+ Quêtes secondaires intelligemment amenées
+ Des combats réussis, quand ils ne sont pas purement jouissifs
+ On se fait relativement bien à l’absence de saut
+ Un challenge tout à fait appréciable, avec quatre niveaux de difficulté
+ Plein de bons défis en marge de l'histoire, et surtout une fois terminé
+ Fin assez surprenante, imprévisible, et plutôt réussie
+ Écriture franchement correcte, avec quelques bonnes surprises
+ Bande son magnifique, envoûtante, brute, émouvante… tout ce qu'il faut
+ Le bestiaire, stylé et dégageant une puissance et une rage à l’image du jeu…
J'ai détesté / pas aimé :
– … mais un peu trop limité niveau renouvellement et variété
– Quand meme drôlement cloisonné par moments
– Le choix de touche pour le QTE de saut, pas très pertinent
– La map, pas hyper claire, et d’une pertinence discutable
– Menus un peu trop complexes et élements de loot mal détaillés
– OK et on fait quoi de tout cet argent, au juste ?