Il existe des œuvres que l'on découvre sans réel espoir de les savourer, par simple souci de se cultiver. Ce genre de situation se produit face à une création que la majorité encense, qui ne nous intéresse que très peu, ou pire, que l'on a déjà tenté d'apprécier sans succès. Dans ce dernier cas, on finit par se dire "j'essaie une nouvelle/dernière fois, pour me cultiver", sans autre ambition que de combler un vide au sein d'une culture personnelle où ladite œuvre semble objectivement avoir sa place. C'est un peu ainsi que j'ai fini par enfin aimer Ocarina of Time il y a près de quatre ans, et c'est dans ce contexte que j'ai décidé de donner son ultime chance à Shadow of the Colossus, "boudé" par la force des choses sur PlayStation 2 en son temps, mais surtout totalement rejeté lors de ma tentative cinq ans plus tard lors d'une réédition HD sur PlayStation 3 qui me fit surtout aduler son aîné, le sublime et émouvant Ico. Un amour pour le style de Fumito Ueda qui me fit, par la suite, énormément apprécier The Last Guardian en dépit de tares inhérentes à sa gestation douloureuse. Le remake annoncé sur PlayStation 4 constituait alors une dernière possibilité de vraiment rentrer dans cette histoire de traque aux colosses, sur la simple base d'un "pourquoi pas, je n'ai rien de prévu ce week-end, et ça se fera vite". Shadow of the Colossus allait-il se résumer à une simple ligne de plus au sein de ma culture vidéoludique, justifier définitivement une aversion qui se dessinait un peu hâtivement, ou devenir un véritable coup de cœur tardif ?
Note sur les conditions de jeu :
On ne change pas une équipe qui gagne : c'est sur ma "bonne vieille" PS4 "fat" 1 To de mi-2016 que j'ai expérimenté la première grosse exclusivité de 2018 du côté de chez Sony. Toujours pas de vraie-fausse 4K à l'horizon me concernant donc, pour cette partie de 10 heures presque tout rond en mode de difficulté normal, sur le review disc inclus dans le kit presse français du jeu. L'intégralité des captures d'écran a, comme de coutume, été réalisée par mes soins. Je tiens également à remercier MajestykRay pour avoir été mon fidèle compagnon durant cette épopée, et avoir résisté tant bien que mal à ses furieuses envies de steak de cheval.
Shadow of a Doubt
Lorsque cette nouvelle édition de Shadow of the Colossus fut annoncée à l'E3 2017 lors de la conférence de Sony, je m'étais fendu d'une critique assez virulente envers le constructeur-éditeur qui avait, à mes yeux, pas mal déçu (pour une fois) lors de la grand-messe annuelle du jeu vidéo. Sortir pour la troisième fois le titre "titanesque" de la Team ICO sur une troisième console de salon consécutive relevait, à mes yeux, de la "bonne grosse blague" (sic), un propos que j'aurais peut-être tenu avec davantage de réserve s'il avait été question d'Ico, je dois l'admettre. Parce que oui, Shadow of the Colossus était de ces titres avec qui j'avais complètement manqué mon premier rendez-vous, au point de ne pas spécialement vouloir insister : je l'avais clairement rangé dans la catégorie de ces jeux n'étant tout simplement pas pour moi. En vérité, je ne le listais même pas dans mon backlog PS3 pourtant conséquent (j'aurais ressorti The Ico and Shadow of the Colossus HD Collection uniquement pour "platiner" le premier des deux titres, auquel un seul trophée manque à ma collection) : la relative mollesse du titre, couplée à une zone ouverte bien trop grande et qui me semblait d'un ennui mortel pour un titre à vocation contemplative, me décourageait de toute façon d'y remettre les pieds. J'ai cependant choisi, en fin de compte, d'accueillir ce remake PS4 avec un minimum de bienveillance, partant du principe que tout jeu remasterisé par Bluepoint est le fruit d'un travail minutieux, et que peut-être, une machine d'une telle puissance pouvait faire tourner "SotC" dans des conditions rendant hommage à ce dont Fumito Ueda rêvait sans doute il y a près de quinze ans.
Rassuré avant même d'avoir vu le jeu tourner sur la simple base du "label Bluepoint", c'est davantage au niveau du gameplay que mes plus gros doutes se situaient, de toute manière. Dès le début des années 2000, et avant que thatgamecompany (entre autres) ne donne ses lettres de noblesse au concept de "jeu contemplatif" (également appelé "simulateur de marche") avec des Flower ou Journey, Fumito Ueda avait livré sa propre vision d'un jeu vidéo réellement artistique. Soucieux de toucher sur la forme comme sur un fond très sous-entendu, visant à parler au joueur sans trop en dire et l'invitant à se faire sa propre interprétation d'un propos délibérément nébuleux, le leader de la Team Ico en négligeait cependant quelque peu les fondamentaux de jouabilité. Un choix assumé aux allures de tare pour les plus gros détracteurs, de relative mauvaise foi quand cela touchait à Ico (surtout vu son contexte, en relatif début de vie de la PS2), plus objectifs lorsqu'il s'agissait de pointer du doigt les lacunes de maniabilité parfois inacceptables de The Last Guardian. En proposant une aventure se déroulant de façon relativement linéaire mais dans un monde entièrement ouvert d'emblée, et ne nécessitant pas la moindre acquisition d'objets ou de compétences pour déverrouiller de nouvelles zones, Shadow of the Colossus choisissait, lui, de ne plus autant confiner le joueur dans une forteresse géante relevant de la prouesse architecturale, et de lui offrir une liberté d'action unique en son genre. Il promettait aussi de limiter ses phases d'action pures aux combats contre les fameux colosses, au nombre de seize, répartis à travers une carte démesurément grande pour l'époque, et qui devaient suffisamment occuper le joueur pour rythmer une aventure aussi magnifique que potentiellement ennuyeuse au possible. Cependant, si le level design global et surtout, l'ingéniosité de chaque affrontement, venaient à tenir un minimum la route, le pari de Ueda et de son équipe avait tout pour être tenu.
Néanmoins, de telles ambitions ne pouvaient être tenues sur PS2 d'un point de vue purement technique : c'est ainsi pour son aspect purement "onirique" (oui, c'est le mot à caser dans tout jeu de ce type, j'en conviens et je l'ai même fait exprès pour titiller celles et ceux qui l'attendaient) que Shadow of the Colossus marqua les esprits en son temps. Sorti dans l'ombre d'un autre colosse, le monolithe PS3 qui allait marquer la planète de son empreinte à peine un an plus tard, le second jeu de Fumito Ueda faisait souffrir sa plate-forme d'accueil et c'était bien compréhensible. En avance sur son temps, la Team ICO tentait d'offrir au monde, et à une console bien trop faible pour cela, un jeu qui méritait largement une résolution en haute définition et surtout, un processeur capable de faire tourner son monde immense et ses créatures géantes. Certes, le remaster PS3 rendait globalement bien hommage au jeu d'origine, mais en conservant ses errances techniques : personne n'avait de toute évidence encore en tête l'idée de reprendre tout de zéro et véritable refaire "SotC" avec des moyens modernes. C'est en partant de ce postulat que le remake PS4 s'est enfin et finalement fort logiquement imposé : Shadow of the Colossus allait enfin disposer d'un support à la hauteur de sa démesure, et être présenté au monde tel que Fumito Ueda en rêvait sans doute dès 2004.
Un ennui colossal ?
Sans vous faire l'affront de présenter en détail ce qu'est Shadow of the Colossus (de toute façon ça se fait assez vite), c'est donc à travers ce remake inattendu et à la pertinence initialement discutable que je le découvre pour de vrai. Désireux, peu importe que je l'apprécie ou non, d'aller au bout de l'aventure, c'est donc au bout de dix heures in-game (qui m'ont semblé en vérité en durer entre 12 et 15…) que je suis parvenu à la cinématique de fin d'une expérience de jeu il est vrai assez unique. "SotC" raconte une histoire pleine de mystère, basée sur la tentative désespérée d'un jeune homme, Wander, de sauver l'âme de sa compagne Mono. C'est sur son fidèle destrier Agro qu'il rallie un immense sanctuaire vide et dont les travées sont bordées chacune d'une rangée de huit statues de pierre, chacune à l'effigie de ce qu'on ignore encore être les fameux colosses. Une voix venue plus ou moins du ciel lui indique qu'à la grâce de son épée, bien particulière, il lui faudra occire les seize colosses occupant les contrées sauvages au milieu desquelles trône le sanctuaire où commence la partie. Voilà en gros le synopsis, simple et efficace, de Shadow of the Colossus, qui nous jette ensuite dans la nature, sans trop d'autre indication que les rayons de l'épée de Wander, qui lui indiquent avec une précision toute relative sa destination – celle du prochain colosse à abattre. L'univers qui s'étend à perte de vue, sauvage et teinté de ce vert pâlot portant la signature de Ueda, est immense, attise la curiosité, mais pour commencer, on est fatalement tenté de suivre le chemin suggéré, et de s'offrir un premier combat contre un titan velu aux déplacements aussi mous que ses coups peuvent faire mal (et impressionner). Après avoir révélé assez facilement les points faibles de l'ennemi, et s'y être agrippé tant bien que mal tant il remue dans tous les sens, Wander enfonce sa lame dans la fourrure de la créature, jusqu'à lui porter le coup décisif, et revenir au sanctuaire initial, où tendre son épée lui indiquera sa prochaine cible. Et ainsi de suite.
Shadow of the Colossus est un titre répétitif en soi, puisqu'il ne propose d'autre opposition que celle des seize géants (heureusement tous différents et évoluant chacun dans un univers typique : zone désertique, caverne, temple, lac, etc.), et que vous ne succomberez qu'en tombant dans une falaise ou en perdant toute votre énergie – ce qui, soyons honnête deux minutes, nécessiterait de le faire exprès en chutant de trop haut à plusieurs reprises en un court laps de temps. La barre de vie de Wander, qui peut augmenter à mesure que l'on récolte de (rares) fruits dans les arbres, se régénère automatiquement, et ce plus ou moins vite en fonction de la difficulté choisie… voire entièrement en priant près de stèles qui faisaient office de point de sauvegarde dans la version originale. C'est plutôt du côté de la jauge d'endurance, qui augmente à mesure que l'on abat des lézards à queue brillante planqués autour de petits sanctuaires et à d'autres endroits de la map, qu'il faudra chercher un peu plus de challenge et optimiser un peu mieux sa gestion. Wander s'essouffle en restant accroché aux colosses, ou en bandant son arc (l'autre arme disponible en permanence, avec un carquois illimité qui facilite bien la vie !), et si ladite jauge remonte également toute seule (ou en priant auprès des sanctuaires évoqués précédemment), c'est probablement davantage elle qui posera problème. On meurt rarement dans Shadow of the Colossus, sauf à la rigueur lors des derniers affrontements face à des adversaires plus puissants et/ou rusés.
Sans aller jusqu'à dire que le second titre de la Team Ico a tout de la promenade de santé, le challenge y est pauvre, et ce n'est pas spécialement ce qu'on y cherche de toute manière. Soucieux de nous immerger sans sa vision si particulière du jeu vidéo, et ce bien avant que des Quantic Dream, thatgamecompany ou Telltale aillent encore plus loin dans la négation du gameplay, Fumito Ueda veut que l'expérience de son jeu soit une promenade initiatique, touchante et mémorable. Alors certes, un minimum d'exploration et de réflexion est exigé, et les combats contre les colosses ne sont aucunement téléguidés ou simplifiés, en-dehors des quelques indices que peut distiller la voix qui communique avec Wander. Si vous ne comprenez pas comment battre votre ennemi, personne ne vous viendra en aide, et seules vos aptitudes à la manette en viendront à bout. Reste qu'une fois les points faibles (dont l'activation n'est pas toujours bien claire) identifiés, le plus gros est fait, et il reste juste à trouver comment les rallier et surtout, bien s'accrocher. Lorsque le coup fatal est porté à l'ennemi, un sentiment de puissance rare s'empare du joueur, fier de son accomplissement, pour clôturer une séquence franchement grandiloquente et magnifiée par les compositions exceptionnelles de Kow Otani. De quoi amplifier grandement des combats somme toute simplistes. En outre, au regard de cette relative facilité, si l'on ajoute à cela un terrain de jeu absolument immense et totalement sous-exploité (il n'y a rien d'autre à faire que de découvrir tous les sanctuaires, bien visibles, et de gonfler les barres de vie et de stamina avec quelques éléments à atteindre d'une flèche, comme expliqué en amont), que l'on peut heureusement parcourir à dos de cheval plus rapidement si l'on ne s'énerve pas contre sa monture, Shadow of the Colossus pourrait tout avoir du tableau aussi magnifique que creux. Car splendide, il l'est, et c'est peu de le dire…
À point (bleu) nommé
Fort heureusement, Shadow of the Colossus n'a clairement pas pour lui que son invraisemblable beauté. Je ne m'attarderai pas très longtemps là-dessus : graphiquement, le remake de Bluepoint est à tomber par terre. Peut-être encore plus beau qu'Horizon Zero Dawn ou Uncharted Lost Legacy, cette première grosse cartouche tirée par Sony en 2018 est d'un photoréalisme saisissant, dans lequel on sera du coup un poil choqué par un Wander à la modélisation quelque peu hasardeuse (qui rappelle celle des premiers visuels proposés pour Shenmue III, ce qui n'est pas un compliment). Mais surtout, au lieu de se contenter d'être une belle carte postale creuse, il bénéficie de ce supplément d'âme le distinguant, par exemple, d'un The Order 1886, aussi sublime que sans véritable cachet. Alors que Fumito Ueda et ses équipes n'ont pas développé cette nouvelle version de leur création, tout ce qui fait le style des productions habituelles du studio est présent, donnant l'impression d'une nature incroyablement vivante en dépit d'une faune très limitée. La végétation, la roche, l'eau, la brume, les effets de lumière et d'ombre, tout est parfait. On en vient à se dire que si The Legend of Zelda: Breath of the Wild avait eu une version "réaliste", elle aurait eu intérêt à ressembler à ça. Pas une minute ne passe sans que la rétine ne soit flattée à l'excès, et que la tentation de jouer de l'excellent mode photo ne pointe le bout de son nez… sauf quand la caméra fait des siennes. Agréable à diriger, et beaucoup moins rigide que dans les deux versions "d'époque", Wander n'est jamais pénible à manier (contrairement à Argo, son fidèle compagnon, aussi réaliste qu'un cheval mal dressé… et donc régulièrement irritant) à moins que la caméra crétine au possible ne vienne y mettre son grain de sel, jusque dans l'exploitation du mode photo. Ce qui ne m'a pas empêché de saisir près de 300 captures d'écran, et il fut bien délicat de sélectionner celles qui allaient illustrer au mieux cette critique en évitant de trop en montrer.
En outre, il serait injuste de trop critiquer une caméra uniquement idiote lorsqu'elle ne sait pas où se replacer lorsque des éléments viennent l'obstruer, tant elle demeure maniable et étonnamment autonome lors de combats titanesques contre des ennemis à l'animation hors du commun. Chaque séquence d'affrontement contre les colosses fait étalage d'une classe monstrueuse, musique d'ambiance à l'appui (la bande son est quasi inexistante durant l'exploration, mais présente en combat, et absolument grandiose), et le moteur en place sur cette version PS4 fait globalement merveille. Il devient de fait très difficile de s'imaginer jouer rétrospectivement au jeu d'origine, qui sur énormément de points, était clairement en avance sur son temps sur beaucoup d'idées, mais porté sur un support ne pouvant en assumer les idées. Reste que le remake nous fait rester sur notre faim, d'abord parce qu'il n'apporte concrètement rien de neuf (ce qui, pour quiconque souhaite le découvrir, est un point très positif !), mais aussi quand on sait que davantage que seize colosses étaient envisagés : ce magnifique monde ouvert d'une beauté sans pareil avait sans doute bien plus à montrer que des étendues sauvages hors du commun, habituellement confinées aux œuvres à progression linéaire (les bons vieux "couloirs" façon Uncharted). La console ne l'aurait-elle pas supporté ? Rien n'est moins sûr tant la propreté technique de l'ensemble (à de très rares de bugs de collision près) laisse supposer qu'il y avait de la place pour beaucoup plus de contenu, quitte à passer par quelques concessions techniques peut-être. Quand on sait qu'un monde ouvert aussi sublime (et quand même bien conséquent en terme de superficie !) tourne en 1080p et surtout en 60fps sur PS4 Pro, cela laisse rêveur, et quelque peu songeur… déjà que le titre en lui-même fait constamment rêver à chaque pas.
Shadow of the Colossus, version 2018, est en effet une expérience marquante, émouvante, pour ne pas dire relativement inoubliable. Prenant à chaque seconde de jeu, à pied comme à cheval, il offre au joueur une épopée unique remise au goût du jour qui a en plus le mérite d'enterrer The Last Guardian techniquement dans les grandes largeurs, à peine plus d'un an après la sortie tant attendue de celui-ci. En offrant un tel sentiment de liberté (bien que sans grosses interactions qui suivent) dans un univers aussi sublime et envoûtant, porté par les compositions mythiques de Kow Otani, il est indéniable que Shadow of the Colossus mérite son statut de titre culte, aux allures de chef-d'œuvre audiovisuel donnant ses lettres de noblesse au jeu vidéo en tant qu'art. Si cela était une certitude pour beaucoup à la toute fin de règne d'une PS2 qui accueillait également ÅŒkami dans un contexte comparable, ce doit être désormais une évidence aux yeux de tous : le second jeu de la Team Ico fait partie de ces titres à part, dignes représentants d'une culture de plus en plus désireuse de mettre en avant le talent de ses artistes et leurs visions d'un média qui leur permet de mieux en mieux de l'exprimer. Tout juste pourra-t-on pointer du doigt une narration qui laisse pas mal sur sa faim par moments, ce qui relève d'une opinion purement personnelle j'en conviens ; une grande majorité des fans du titre semblent avoir été touchés par un épilogue certes émouvant, mais qui ne surpasse pas Ico de mon point de vue. Les cinématiques, qui tournent sur le moteur du jeu (ce qui rend ce dernier encore plus impressionnant), constituent un autre point fort, tant qu'elles ne s'encombrent d'aucune narration explicite. Shadow of the Colossus aurait peut-être gagné à se montrer totalement muet, pour inciter le joueur à réfléchir encore davantage à un propos qu'une telle épopée suggère clairement de s'approprier. Mais cela reste un détail, l'ensemble demeurant très touchant, avec une dernière séquence jouable en forme d'apothéose nous faisant passer par tous nos états, et sublimant un gigantisme architectural ET dans le character design rarement vu dans le jeu vidéo.
Dans l'ensemble, il y a quand même très peu de choses à reprocher sérieusement à cette nouvelle version de "SotC", qui devient paradoxalement la meilleure expérience de la Team Ico disponible à ce jour… tout en n'ayant pas été développée par ses créateurs d'origine. En donnant un coup de jeune à une toile de maître qu'il fallait quand même sacrément dépoussiérer, notamment via son mapping de touches d'un autre âge qu'il est heureusement possible de sacrifier au profit d'un plus moderne (ce que The Last Guardian n'a pas eu la brillante idée de proposer), Bluepoint parvient à remettre une légende du jeu vidéo au goût du jour. À une époque où Horizon Zero Dawn, Breath of the Wild, Persona 5, Super Mario Odyssey, Assassin's Creed Origins ou encore les tout récents Dragon Ball FighterZ et Monster Hunter World règnent en maître sur un paysage surchargé de titres à l'accueil dithyrambique, cela relève de l'exploit de se faire remarquer comme bien plus qu'un simple remake. Oui, en ce début 2018, et au début de la cinquième année d'existence (déjà !) d'une PS4 qui a encore du lourd à proposer dans le futur (God of War, Days Gone, Detroit, Spider-Man et évidemment The Last of Us Pt. II), Shadow of the Colossus réussit un authentique exploit en s'imposant comme une des exclusivités déjà essentielles d'une machine qui en manque de moins en moins, tout simplement. À prix doux, quand même, vu sa durée de vie assez limitée, dont la rejouabilité est assez artificielle, et pas forcément adaptée à un titre aussi unique – il demeure franchement discutable de suggérer en bonus des épreuves chronométrées au sein d'une expérience contemplative dont les rares combats privilégient le spectacle et l'ingéniosité au détriment des prouesses du joueur. Ce "nouveau SotC" est un remake sublime, unique, la meilleure version à n'en point douter, pas parfait non plus, mais largement recommandable, pour ne pas dire vivement conseillé, tout simplement.
Si vous n'avez jamais joué à Shadow of the Colossus et que vous disposez d'une PlayStation 4, même celle "de base", il serait fort dommage de passer à côté de l'expérience unique que propose le second jeu de la Team Ico, surtout ainsi mis en valeur par Bluepoint. Le travail de refonte du titre mythique de Fumito Ueda est splendide au point que les superlatifs manquent pour décrire la performance visuelle hors du commun que constitue ce remake pas forcément attendu, mais devenu quasi indispensable au sein du line-up d'une machine désormais bien servie en exclusivités de haute volée. Si tous les défauts d'époque n'ont pas forcément été corrigés, la plupart des éléments qui risquaient de rendre une telle production datée et inutile en 2018 ont été gommés, au point de permettre à ce chef-d'œuvre de la PlayStation 2 d'être (re)découvert comme un jeu vidéo contemporain, avec tout le panache qu'on lui connaît. Hymne à la démesure, que ce soit dans l'architecture si particulière des jeux du studio ou dans le character design de ses prestigieux antagonistes, Shadow of the Colossus parvient à imposer sa lourde empreinte au sein d'un paysage vidéoludique surchargé où il aurait pu se faire oublier. Mais en améliorant avec autant de talent et de précision d'orfèvre un titre quand même sacrément daté, Bluepoint témoigne non seulement une fois de plus d'un statut de génie incontestable du remaster, et d'une étonnante qualité à refaire vivre un tableau d'une autre époque comme s'il venait d'être achevé au milieu de compositions contemporaines. Devant une telle prestation, on en vient à regretter que le studio n'ait pas retouché un The Last Guardian sublime et au design audacieux, mais abusivement poussif et hoquetant, quitte à le repousser une fois de plus. Dans ces conditions, le Shadow of the Colossus de 2018 – et de Bluepoint – est non seulement le meilleur jeu de la Team Ico disponible à ce jour, un des meilleurs jeux d'une PS4 qui n'en manque pas, et une claque inattendue de ce début d'année, que finalement assez peu de zones d'ombre viennent noircir.
J'ai adoré / aimé :
+ Découvrir Shadow of the Colossus, si authentique, dans de telles conditions !
+ Des graphismes à couper le souffle, peut-être le plus beau jeu de la console
+ La BO signée Kow Otani, toujours une merveille touchante et inoubliable
+ Les combats contre les colosses, majestueux et mémorables
+ Une aventure et une exploration épiques et très immersives
+ Fini le mapping des touches d'un autre âge (mais les puristes pourront utiliser l'original)
+ Globalement très agréable à manier, même en combat
+ Le mode photo (… qui rallonge un peu la durée de vie)
+ La touche de Fumito Ueda, déjà connue pourtant, mais formidable
+ Une ode permanente (et unique) au gigantisme et au titanesque
+ La meilleure version existante du jeu, et donc le meilleur jeu "de la Team Ico" à ce jour
+ Prouesse technique irréprochable, sans chutes de framerate, quasi pas de bugs, ultra propre
+ Tarification correcte pour sa durée de vie (en 10 heures c'est plié, même pour un novice)
+ Un monde ouvert saisissant de beauté…
J'ai détesté / pas aimé :
– … et quand même très vide, peut-être aurait-il fallu revoir les ambitions à ce niveau ?
– Pas forcément le meilleur scénario (ni épilogue) de la "trilogie" du studio
– Agro est quand même souvent très casse-pieds, au-delà de la simple "désobéissance"
– Réalisation de Wander franchement passable, en plus d'être un personnage assez creux
– Caméra régulièrement à l'ouest (voire tous les points cardinaux mais pas toujours le bon)
– Petit manque de lisibilité et de clarté lors des combats
– "Rejouabilité" anecdotique et dispensable
– Aucun ajout pour quiconque le connaît déjà