Parmi les nouveautés inattendues et aguicheuses d'un E3 2017 dont je dressais quelques jours plus tard un bilan complet – aux allures de grande première pour moi – figurait en très bonne place un jeu semi-indépendant sous la houlette d'un mastodonte dont je n'ai d'habitude que faire des productions : A Way Out. Nouvelle création de Josef Fares, connu pour le très touchant Brothers: A Tale of Two Sons (2013), et édité par Electronic Arts, ce titre sorti de nulle part avait constitué une de mes plus belles surprises au cours de la dernière grand-messe annuelle du jeu vidéo… au point de constituer ma première vraie attente (du moins à l'époque) pour une année 2018 dont j'attendais bien moins de grands jeux que sa devancière. Restait à mettre ce surprenant projet de titre action-aventure exclusivement coopératif à l'épreuve, dès le week-end de sa sortie, et de juger de sa capacité à trouver la bonne voie pour se libérer de barreaux risquant de l'enfermer un peu trop dans un schéma rappelant les productions d'un certain David Cage… le budget en moins.
Note sur les conditions de jeu :
Cette expérience de A Way Out a été intégralement réalisée sur une PlayStation 4 classique et en coopération locale, sur une version dématérialisée obtenue dans une telle légalité qu'il était inconcevable de rester aussi longtemps en prison. Le jeu a été joué day one, sans aucun correctif ni mise à jour, et je tiens comme de coutume à remercier MajestykRay (devenu "Vincent" pour l'occasion), mon éternel "bro", partenaire on ne peut plus adapté pour un jeu de ce type. La coopération en ligne n'a pas été testée, et les captures d'écran ont comme de coutume toutes été réalisées par mes soins.
C'est moi qui m'y colle, brother
Est-il risqué de placer un certain niveau d'attente dans une production "discrète", aux ambitions limitées, qui n'a pratiquement pas donné signe de vie en 9 mois depuis son annonce ? J'avais en effet placé des espoirs assez élevés dans ce qui constituait pour moi la bonne surprise de l'E3 2017, peut-être parce qu'annoncée assez tôt dans le salon et au sein d'une conférence d'un éditeur dont les titres ne me font généralement ni chaud ni froid. À mes yeux, pour rappel, A Way Out, c'était "le gros oui, un titre exclusivement coopératif que je compte me faire avec mon meilleur partenaire de découverte de jeux, en priant pour qu'il tienne ses promesses, car ce serait vraiment trop dommage de gâcher un tel potentiel" : oui, rien que ça ! Il n'y a qu'à l'heure de se lancer dans un titre dont je n'avais finalement quasiment pas vu la moindre de phase de gameplay, à part quelques instants sur l'écran du collègue en charge du test pour jeuxvideo.com – les avantages du métier – que mes premiers doutes apparurent, notamment sur un tarif que je n'avais pas envisagé aussi élevé. Pour environ sept heures annoncées, passer à la caisse (virtuelle !) pour 30 € constituait un pari assez risqué, encore plus en consultant les tests des deux acteurs majeurs de la presse française en ligne, aux verdicts pour le moins différents (un 15/20 encourageant chez jeuxvideo.com donc, mais aussi un 4/10 inquiétant du côté de Gamekult).
Les premiers doutes entourant la sortie d'A Way Out n'eurent cependant pas raison de mes envies de vivre une expérience coopérative sympahique (voire pourquoi pas unique) : la création d'Hazelight Studios se montrait de toute façon trop originale et singulière pour décider de passer à côté. De plus, son aspect narratif de toute évidence assez développé ne pouvait que pousser à se faire sa propre opinion. L'aventure de Vincent et Leo avait tout du scénario dont la perception et le ressenti risquaient de grandement dépendre des joueurs, de leur empathie, leur vécu… et après tout, on était loin des prétentions de vecteur d'émotion d'un Quantic Dream et de sa négation du gameplay. Sans chercher à promettre une immense liberté d'action, le nouveau jeu de Josef Fares semblait garantir davantage de phases de jeu "réelles" que ceux de David Cage, ou des Telltale voire de Life Is Strange. Il ne fallait pas s'attendre à un film interactif en coop, mais à un vrai jeu d'action/aventure porté par une narration forte. Quelque chose d'assez unique en soi du fait de l'exclusivité totale de la coopération, proposée gratuitement à un partenaire en ligne qui plus est, pour faire un peu mieux passer la pilule d'un tarif élevé. Ces bases posées, il était temps de prendre chacun notre pad et de rejoindre ce pénitencier dans lequel nous espérions évidemment rester enclavés le moins possible…
Warrior Bros.
Sans nous en dire beaucoup plus, la bande-annonce livrée par Electronic Arts laissait aisément supposer que A Way Out ne se contenterait pas d'une simple histoire d'évasion confinée derrière d'immenses murs d'enceinte de longues heures durant, telle une bête adaptation vidéoludique de l'exceptionnel The Shawshank Redemption (si vous n'êtes pas d'accord avec ce statut, c'est que vous ne l'avez pas vu ; auquel cas, merci de corriger cette lacune de suite). Certes, la partie du scénario se déroulant en prison ne constitue pas qu'un simple prologue, mais elle est principalement là pour poser les bases d'une relation initialement difficile mais qui deviendra fraternelle entre les deux progatonistes… mais aussi les deux joueurs. Au début de votre partie, vous choisirez qui de Vincent (le barbu bougon) et de Leo (le sosie de Stallone à rouflaquettes) vous incarnerez, et il sera recommandé, en cas de coopération locale, d'opter pour le personnage situé de votre côté de l'écran – ou de changer de côté sur le canapé en fonction de votre préférence – afin de vous immerger au mieux lors des séquences en splitscreen vertical, qui constitueront une majeure partie du temps de jeu. Très vite, le déroulement des faits vous amènera à nouer une complicité nécessaire dans un seul et unique but : foutre le camp d'ici, au plus vite, surtout que les deux personnages ont une raison quasi commune de s'évader. Si Leo est en prison depuis quelque temps déjà, Vincent vient juste d'y arriver, et l'introduction plutôt correcte sera là pour vous immerger dans un univers carcéral bien dépeint, et des mécanismes de gameplay relativement immersifs et cohérents… si bien sûr on n'est pas allergique aux quick time events (QTE) et à une maniabilité très "point & click" dans l'ensemble.
La clé de l'intérêt que l'on portera à A Way Out résidera grandement dans l'empathie ressentie envers ses deux protagonistes, dont on craignait un peu le potentiel (manque de ?) charisme, il faut l'avouer. Fort heureusement, le fil conducteur les mettant en scène est tout à fait correctement intégré d'entrée de jeu, et on partage d'emblée les velléités d'évasion de nos deux protagonistes, dont la répartition des rôles est parfaitement équilibrée. L'un des piliers du gameplay de la dernière création de Josef Fares vise à placer les deux partenaires sur un pied d'égalité absolue, faisant disparaître la notion de "joueur 1 / joueur 2" : si bien évidemment il faudra bien que les manettes soient affectées en ce sens, ni Vincent ni Leo (qui seront toujours nommés dans ce sens du fait de leur position à gauche et à droite de l'écran au moment du choix du personnage joué par chacun) n'a de rôle plus important ou ne sera joué plus longtemps que son complice. A Way Out prend certes l'étonnant risque d'imposer la coopération mais le justifie à travers cette répartition des séquences de jeu qui fait totalement mouche. À de très rares moments, un joueur agira seul, mais jamais assez longtemps pour donner l'impression à son partenaire d'être spectateur ; en cela, le titre d'Hazelight implique bien plus que le film interactif à la Quantic Dream que l'on redoutait de vivre.
En plus de maintenir chacun des deux joueurs cramponné à son pad (sept heures durant environ, ce qui est un peu trop court mais assez intense dans l'ensemble), A Way Out refuse de négliger la jouabilité au sens propre, ne veut pas offrir une progression rigide, sur un rail et blindée de QTE, et souhaite régulièrement renouveler son gameplay – quitte à trop le diversifier. S'il s'y prend plutôt bien dans la prolifération d'à-côtés totalement inutiles mais divertissants (dont bon nombre de mini-jeux sans transition tels un affrontement sur une borne d'arcade, un bœuf au banjo et au piano entre les deux compagnons d'infortune, une partie de Puissance 4 dans une salle d'attente, ou encore un base-ball improvisé dans un bidonville de banlieue…), le jeu se permet de proposer des phases de conduite et de tir en coopération plutôt réussies côté immersion, voire d'infiltration et de tir à la troisième personne… avec les moyens du bord. Comme il cherche à ne jamais sombrer dans la routine, en brisant le rythme régulièrement et en tentant même quelques prouesses de réalisation au niveau des plans (l'écran divisé verticalement en deux est loin de constituer le seul affichage proposé en fonction des séquences), A Way Out se renouvelle mais pas toujours adroitement. Alterner et surprendre est évidemment apprécié, mais n'est vraiment pertinent que lorsque cela est maîtrisé ; hélas, ce n'est pas forcément tout le temps le cas, loin de là. Quelques passages seront donc ennuyeux ou un peu brouillons dans leur réalisation, tout ça parce que le studio a tenté de toucher à un peu tout en perdant de temps en temps le fil de son propos originel. Car malheureusement, s'il est très réussi sur de nombreux points et parvient à offrir bon nombre de surprises et de moments forts, "celui sur lequel EA ne touchera pas un dollar" se plante en beauté dans d'autres domaines.
Rouflaquettes annexes
Serait-il cruel de dédier toute une partie de cette critique aux tares d'une production somme toute humble et quasi pionnière en son genre ? Possible. Reste que A Way Out, sur plusieurs aspects, ne prend carrément pas la bonne voie. On est évidemment tenté d'être indulgent sur un aspect technique qu'un titre de cette envergure ne peut pas autant maîtiser qu'un triple A, mais toujours un peu moins lorsque ses ambitions sont trop élevées. De par sa dimension très cinématique, ce jeu sait se montrer régulièrement très joli, même in-game, et évidemment beaucoup plus vilain sur pas mal d'aspects – réalisation comprise, notamment dans les animations et la modélisation des PNJ, dont on appréciera quand même le style très '70s tout à fait crédible et même amusant (pourquoi absolument tous les flics de l'époque portaient-ils la moustache ?). Il est cependant regrettable de la part des développeurs d'avoir autant tenté de forcer sur un framerate à 60fps, qui s'il peut se concevoir lors des phases d'action (globalement immersives, bien que d'un autre âge), n'a aucune pertinence dans un jeu se voulant aussi proche du septième art ou de la série TV moderne, et de ses 24ips. Mis à mal constamment et très irrégulier, le taux d'images par seconde manque de cohérence et brise une partie de l'immersion par moments, tout comme ces ruptures incompréhensibles de bande son d'une seconde pleine survenues une quinzaine de fois sur toute l'aventure. Oui, il serait cruel de dire qu'A Way Out est techniquement à la ramasse : il est juste imparfait, et cela se comprend pour une création de ce type ; mais Hazelight n'avait-il pas intérêt à stabiliser un titre qui y aurait grandement gagné plutôt que de vouloir trop en faire, et jouer dans une cour qui n'est pas la sienne ?
En marge de cette faiblesse technique toute relative sur laquelle j'ai quand même le sentiment de me montrer très sévère, il est temps de s'attarder sur le véritable point noir du jeu, et qui va faire mal compte tenu de sa réelle ambition : son écriture franchement moyenne, pour rester indulgent. A Way Out a pour évident projet de raconter une histoire prenante, bien ficelée, et apportant sans doute son lot d'émotions si l'on en juge par l'identité de son scénariste : Josef Fares avait été, on le rappelle, acclamé pour Brothers, un des jeux indépendants les plus émouvants d'une époque qui n'en manquait pourtant pas. Hélas, les émotions attendues du côté de son nouveau bébé sont parfois forcées, d'une crédibilité pas toujours terrible, et c'est d'autant plus regrettable que cela marche par moments très bien ! De ce côté, le jeu est un peu déséquilibré, entre passages réellement intenses et marquants, et séquences bien plus superficielles que l'on oubliera totalement.
Pourtant, si l'on arrive à faire fi de ses personnages secondaires stéréotypés et sans charisme, et à son scénario la plupart du temps cousu de fil blanc, A Way Out fait le boulot ; mieux encore, il parvient à nous glisser aisément dans la peau d'un véritable duo accroché à un désir d'évasion et de vengeance vis-à-vis de la situation initiale ayant mis chacun de nos "héros" sous les verrous. Il n'y a en vérité qu'à travers ce tandem sympathique, auquel on s'identifie franchement bien et dont on retranscrira à notre manière les pérégrinations sur notre canapé, que la mayonnaise prend vraiment : sans révéler quoi que ce soit, de très nombreux passages font apprécier l'aventure à deux comme rarement un titre coopératif est parvenu à le permettre jusqu'ici. En assumant dans l'ensemble très bien son idée de base, le titre d'Hazelight arrive quand même à séduire globalement sur ses principes et la façon dont il les met en application – et ce quitte à pêcher régulièrement dans un fond et une forme inégaux mais pardonnables. Le développeur suédois a le mérite de proposer quelque chose d'original, qui tient la route et sans longueurs, et surtout, renouvelant un certain style à sa façon : il ne serait pas surprenant que A Way Out fasse école et inspire d'autres développeurs en mal d'expériences interactives immersives et à la réalisation audacieuse. À une heure où le jeu vidéo cherche à se rapprocher encore un peu plus d'un cinéma qu'il ne parodie plus mais imite de mieux en mieux, les idées proposées avec brio par une telle production méritent d'être retenues et améliorées dans le futur. Espérons que les studios les moins frileux s'en inspireront, avec ou sans Josef Fares à bord, car c'est un bien étonnant potentiel qui nous est proposé ici, et que l'on apprécierait de voir (ré)exploité avec beaucoup plus de moyens.
A Way Out sort des sentiers battus et ce n'est pas peu dire : sans pour autant proposer une quelconque direction artistique audacieuse, ni une bande son brillante (au point de ne pas avoir été évoquée dans cet article), et encore moins se démarquer par un scénario à couper le souffle, le nouveau titre de la gamme "EA Originals" a le mérite d'offrir une expérience inédite et à la réalisation terriblement immersive. En donnant un nouveau souffle au jeu d'action/aventure coopératif, le premier titre du studio Hazelight s'en sort largement avec les honneurs et on préférera mettre de côté ses errances d'écriture un peu grossières (ou ses lacunes techniques) pour se concentrer sur le principal objectif du jeu, largement atteint ici. A Way Out se savoure pleinement à deux, en suffisamment peu de temps pour ne pas lasser même avec quelques creux et passages peu inspirés, d'une introduction sérieuse et donnant le ton jusqu'à un finish (sur)prenant qu'on n'oubliera pas forcément de sitôt. C'est une toute autre dimension à la coopération qui est donnée ici, avec deux joueurs et deux protagonistes mis sur un étonnant pied d'égalité comme jamais ; vu la possibilité d'inviter un(e) ami(e) à distance pour mieux digérer une politique tarifaire assez discutable, il serait finalement dommage de passer à côté et de ne pas l'essayer. En cherchant un échappatoire pour mieux s'évader d'une route toute tracée, A Way Out ouvre de nouveaux chemins dans lesquels on a déjà hâte de voir de potentiels successeurs s'aventurer, tirer les leçons de ses erreurs de parcours mais aussi s'inspirer de ses plus brillantes idées, et prendre une relève qui vaudra sans doute le coup.
J'ai adoré / aimé :
+ Concept vraiment très cool, souvent bien assumé
+ Pas de véritable "joueur 1" ou "joueur 2"
+ Jouable en ligne avec un seul exemplaire
+ Beaucoup de types de gameplay explorés
+ Une intro efficace posant bien toutes les bases qu'il faut
+ Certaines séquences sont vraiment très réussies
+ Dernière heure intense et plutôt marquante
+ De nombreuses interactions "fun" … inutiles donc indispensables
+ Ne se contente pas d'un splitscreen vertical mais varie les situations
+ Peut être étonnamment joli…
J'ai détesté / pas aimé :
– … comme sacrément moche
– Bande son correcte mais pas marquante du tout
– Le sentiment de jouer parfois à un Quantic Dream Eco+
– Émotions parfois surjouées et pas toujours crédibles
– Écriture sans relief, personnages sans profondeur
– Les choix ne sont qu'une douce illusion
– Pas très long, et quasi sans rejouabilité
– Des passages franchement foirés et sans intérêt
– Quelques errances techniques idiotes
– Tarif de base quand même limite limite